Sur le grand plateau du Théâtre national de la Colline, l’écrivain retrace avec rigueur et probité la soirée des attentats terroristes survenus à Paris à l’automne 2015 dans une pièce chorale au propos forcément glaçant et poignant.
Au commencement, le jour se lève. Une journée qui s’annonce comme une autre. Le temps est inhabituellement beau pour un mois de novembre parisien. C’est un vendredi, le dernier jour avant l’arrivée du week-end. Une jeune fille, tout sourire, s’embrase d’impatience à l’idée de retrouver sa petite amie à qui elle a donné rendez-vous dans un bar de quartier pour profiter de la douceur du soir. Une autre femme attend sa sœur jumelle venue de Barcelone où elle habite à la capitale pour fêter leur trente ans.
Pour autant, l’immense plateau de théâtre dépouillé a déjà revêtu sa couleur de deuil. La sombre opacité dont il se nimbe a même parfois tendance à effacer les interprètes devenus des ombres fugaces. Le noir prédomine comme un mauvais présage du drame qui va advenir et que personne ne peut encore imaginer. La mort, le malheur, l’horreur vont pourtant surgir, non pas par le biais d’images vainement spectaculaires – la mise en scène que signe Denis Marleau évacue d’emblée et à raison tout sensationnalisme des faits relatés mais jamais illustrés – mais par la puissance évocatrice et émotionnelle des mots, des récits, portés par une troupe de 17 comédiens, souvent remarquables, dont le jeu s’assume frontal et polyphonique.
Sur un plancher qui se creuse, se craquelle, se disloque, jusqu’à devenir irrégulier et former des béances, les comédiennes et comédiens se présentent fermes, stoïques, empreints d’un certain excès de raideur, les visages et les corps défaits pétrifiés. Les vivants mais aussi les morts prennent la parole pour dire l’effroi face au danger, pour dire les tirs à répétition, le sang partout, l’effroi de deux jeunes pompiers tout juste formés à l’exercice de leur métier, qui découvrent des corps criblés de balles entassés, l’effroi des médecins et secouristes arrivés impuissants sur les lieux, l’effroi des services d’appel d’urgence, l’effroi de toute une population d’individus découvrant la série de fusillades à la radio, sur les écrans de télé, scotchés à leurs smartphones pour tenter de joindre ceux qu’ils aiment et prendre de leur nouvelle.
Comme dans Nous l’Europe, banquet des peuples mis en scène par Roland Auzet et présenté au festival d’Avignon en 2019 puis au cours d’une très longue tournée, Laurent Gaudé met en valeur dans Terrasses la force du collectif qui fait écho à celle du chœur dans le théâtre antique, la force des mots dont la profusion généreuse est ici plus audible et maîtrisée. Le propos grave et douloureux de la pièce ne raconte rien d’autre qu’une histoire déjà tristement connue. Il semble avoir cueilli le public de la Colline le soir de la première au point que l’écoute particulièrement attentive, recueillie, était vraiment palpable. En revivant le drame, les spectateurs ont aussi pu entendre l’importance de ne pas se résoudre à renoncer à la joie, et de continuer à vivre, résister, aimer et célébrer la vie, aller aux terrasses des cafés pour résister, célébrer la vie, continuer de vivre, en terrasses mais pas terrassés comme l’exorte Laurent Gaudé.
Terrasses
texte Laurent Gaudé
mise en scène Denis Marleau
avec Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk et Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche, Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de La Colline
scénographie, vidéo et collaboration artistique Stéphanie Jasmin
musique originale Jérôme Minière
lumières Marie-Christine Soma
costumes Marie La Rocca
maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
montage et staging vidéo Pierre Laniel
design sonore François Thibault
conseil chorégraphique Stéfany Ganachaud
assistanat à la scénographie Marine Plasse
assistanat à la mise en scène Carol-Anne Bourgon Sicard
fabrication des accessoires, costumes et décor ateliers de La Collineproduction
La Colline – théâtre nationalcoproduction UBU Compagnie de création
parution le 10 avril 2024 aux éditions Actes Sud-Papiers
Durée 2h10
La Colline – théâtre national
du 15 mai au 9 juin 2024 au Grand théâtre
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 16h
relâche dimanche 19 mai
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