Décrypter les signes, décoder le vrai du faux, avec Décodage, la Compagnie (S)-Vrai propose une petite forme uppercut et tout terrain portée par la lumineuse Ada Harb qui se glisse idéalement dans ce rôle cousu sur mesure où elle excelle à brouiller les pistes. Nous perdre, nous bousculer, nous rattraper en cours de route pour mieux interroger notre rapport à l’information, à l’Histoire, à la mémoire. Franchement stimulant.
Vu par une matinée scolaire dans une salle du rez-de-chaussée du Musée de l’Histoire de l’Immigration, Décodage, petite forme mise au point par la Compagnie (S)-Vrai, trouvait là, au coeur du Palais de la Porte Dorée, face à un public adolescent, toute sa pertinence et déployait avec brio l’ambivalence (assumée) de son dispositif et cette zone trouble que la compagnie au nom programmatique se plaît à explorer : naviguer entre le réel et la fiction pour mieux dégager la complexité des sujets abordés. Vérité et faux semblants sont donc au centre de cette conférence qui commence sur un pied pour finir sur l’autre et nous perd à dessein par des chemins de traverse après nous avoir embobinés en beauté. Car c’est justement là son sujet : dans une époque où les fake news circulent à la vitesse de nos objets technologiques connectés, à l’heure des réseaux sociaux saturant l’information au risque de la confondre et de la noyer, dans ce 21ème siècle qui démultiplie les moyens de connaissance mais accélère dans le même temps la prolifération des intoxs, comment séparer le grain de l’ivraie ? Comment aborder l’enseignement de l’Histoire, le croisement et le recoupement des sources, l’appui des archives et leur diversité, la mise en perspective des points de vue, tout ce que l’ordinateur ne peut faire seul, sans l’intervention humaine ?
Powerpoint à l’appui, Ada Harb, jeune comédienne franco-libanaise sortie de l’ESCA du Studio d’Asnières, se fait d’abord passer pour ce qu’elle n’est pas et son adresse directe au public, son exceptionnel pouvoir de persuasion, partant, sa qualité de jeu, viennent questionner en creux notre besoin de croire ce qu’on nous raconte, notre propension à adhérer au discours qu’on nous sert, d’autant plus quand les vertus oratoires de notre (boni)menteuse professionnelle sont rodées à la perfection. La jeune femme est en effet bluffante d’aplomb et de crédibilité, elle a le sens de l’accroche, manie la langue et sa rhétorique avec dextérité, et son discours est vraisemblable. Qu’a-t-elle à nous vendre ? Car c’est toujours de cela qu’il s’agit en cette ère de consommation débridée. Un jeu vidéo immersif et sur mesure pour apprendre l’Histoire sans s’ennuyer. Pourquoi se prendre la tête quand l’apprentissage peut être fun ? Décodage s’inscrit indubitablement dans notre société et ses travers, les attrape par le col pour mieux leur tordre le cou. Et lorsque la représentation bascule, on voit les jeunes spectateurs littéralement soufflés d’avoir été bernés mais toujours captifs de l’oratrice qui a beau changer de cap, elle n’en garde pas moins le contact et tient son auditoire en haleine jusqu’au bout.
C’est en se retrouvant confrontée aux zones d’ombre de sa propre histoire qu’elle révèle ses origines et tombe le masque quant à sa vraie nature. A ses côtés, on partira sur les traces d’Anne Frank et de son journal tenu pendant la seconde guerre mondiale, on traversera la Méditerranée direction le Liban et les stigmates de la guerre civile, on ira à la rencontre de la Grande Histoire via sa propre histoire familiale, comme pour mieux témoigner en faveur d’une Histoire inclusive qui ne s’intéresse pas qu’aux riches et aux puissants mais garde en mémoire les vies oubliées, celles des petites gens. Imaginé à quatre mains par Jana Klein (à l’écriture) et Stéphane Schoukroun (à la dramaturgie) dans un dialogue rapproché avec des adolescents et la collaboration artistique de leur interprète Ada Harb, Décodage porte bien son nom et s’avère une porte d’entrée rusée et engageante pour sensibiliser les jeunes au décryptage de l’information, à l’importance du devoir de mémoire, à la perception de l’Histoire comme partie prenante des sciences humaines et sociales, une discipline essentielle en recherche permanente. Dans le cadre scolaire, la représentation est suivie d’un débat bienvenu sur ces questions et thématiques. A l’heure actuelle, se confronter à de tels enjeux, les décortiquer, les mettre en débat, nous semble être plus qu’une nécessité, une urgence sociétale.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Décodage
Conception / Ecriture : Jana Klein
Conception / Dramaturgie : Stéphane Schoukroun
Jeu / Collaboration Artistique : Ada Harb
Design graphique : Sama Beydoun
Production Compagnie (S)-Vrai
Soutiens Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Département de la Seine-Saint-Denis, Ville de Gonesse, Fondation Humanités, digital et numériqueDurée : 1h
A partir de 14 ansDu 12 au 29 juillet 2023 à 16h10 (relâches les 17 et 24)
Cour du Spectateur – Off Avignon
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