Cocasse, incongrue, maligne : la dernière création de Balkis Moutashar hybride les êtres et les mouvements dans une danse aussi précise que libre.
« De tête en cape » : si cette formule dit immédiatement quelque chose, résonne et fait image, l’on sait que ce n’est pas celle employée normalement. Il se joue dans ce rapport au titre de ce spectacle de Balkis Moutashar – entre reconnaissance et transformation, déplacement de références connues de toustes – ce que ledit spectacle déploie, avec intelligence et un goût du jeu aussi consommé que rondement mené. Dans cette création jeune public – qui, depuis ses premiers pas en 2019, n’a cessé de tourner –, la chorégraphe formée à la philosophie et à la danse contemporaine, et qui aime dans son parcours à arpenter plusieurs disciplines – music-hall, performance, théâtre, art contemporain –, s’intéresse au costume. Au costume dans sa singularité, soit dans ce que chaque vêtement charrie de représentations, d’assignations, de possibilités (ou non) de mouvements et d’inventions.
Pour ce faire, l’artiste et son équipe sont parties de quatre figures on ne peut plus familières de l’univers de l’enfance : un ours, une grenouille, un Superman et une princesse. Ces êtres, que dès le plus jeune âge l’on croise dans les livres et les dessins animés, et dont on peut endosser les déguisements, vont au fil de la représentation s’hybrider. D’abord, la grenouille. Débarquant sur la scène au sol et au mur blanc, elle saute, progresse telle qu’on l’imagine, une création sonore jouant des références à ses croassements comme à son environnement naturel ; puis, elle cède la place à un ours qui va faire de même, se livrant à des mouvements patauds, se roulant par terre, se grattant. Les deux animaux vont se retrouver pour évoluer ensemble, s’apprivoisant et semblant, comme pas à pas, s’emprunter des postures et mouvements. Il en ira ensuite de même avec Superman, comme avec la princesse. Chaque être va voir son vocabulaire chorégraphique s’élargir, se métisser aux autres, dans une alternance de solos et de duos.
Cette progressive transformation – qui n’est pas une mutation définitive, mais plutôt une hybridation et une réinvention perpétuelles – sera en permanence accompagnée par la création sonore comme par les lumières. Tandis que le plateau, d’abord intégralement blanc, va petit à petit se teinter d’autres couleurs, la subtile création musicale nous balade entre les registres. Il y a les sons concrets évoquant les milieux naturels des deux animaux ou leurs cris respectifs – qui sont bien souvent entrecoupés de silence, comme pour mieux, qui sait, dérouter et rappeler que le ludique l’emporte ici sur le réalisme ; et il y a toute une partition qui va chercher d’autres références, convoquant les musiques de contes de fées, des airs de harpe à la reprise de Conseils de la fée des Lilas – composée par Michel Legrand pour le film Peau d’âne de Jacques Demy –, comme les musiques électroniques pour remixer le tout.
Ce faisant, De tête en cape bouscule les codes, fait de la transgression des normes et des attendus son miel, et invente sous nos yeux des êtres fantasmagoriques, se jouant du grotesque et de l’inattendu. Les deux interprètes, Sonia Darbois et Maxime Guillon-Roi-Sans-Sac, insufflent à leurs différents personnages une énergie mutine et espiègle. Avec cette écriture a priori simple, le spectacle invite à jouer avec les références et les stéréotypes, à se les approprier pour mieux s’en émanciper, dans la pure tradition carnavalesque. Ce goût pour le décalage sera mené jusqu’aux scènes finales et, après une séquence (assez incroyable) de derviche tourneur avec cape de Superman et jupe de princesse, les deux personnages inventent une ultime figure. Renvoyant là encore à un moment bien connu des enfants – car, après avoir joué, il faut ranger –, cette scène devient l’occasion de l’édification d’un totem avec les cubes de rangement. Et d’une nouvelle danse, et là encore d’une nouvelle échappée salvatrice dans l’imaginaire et l’invention, loin des carcans.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
De tête en cape
Chorégraphie Balkis Moutashar
Avec Sonia Darbois, Maxime Guillon Roi-Sans-Sac
Costumes Christian Burle
Lumière Samuel Dosière
Son Géraldine Foucault, Pierre Damien Crosson
Scénographie Claudine BertomeuProduction Cie Balkis Moutashar – association Kakemono
Coproduction CCN Ballet national de Marseille, dans le cadre de l’accueil studio 2018 ; Compagnie Système Castafiore, Grasse ; La Fabrique Mimont, Cannes
Soutiens Scènes & Cinés, Scène conventionnée Art en territoire – Istres Ouest Provence ; KLAP Maison pour la danse
Pour ce projet, la compagnie Balkis Moutashar a reçu l’aide de la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, de la Région Sud, du département des Bouches-du-Rhône et de la Ville de Marseille.Durée : 50 minutes
À partir de 5 ansVu en février 2025 à La Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
La Barcarolle, Saint-Omer
les 18 et 19 mars
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