Quartett est une réécriture brève et étincelante des Liaisons dangereuses de Laclos. Merteuil et Valmont, les deux protagonistes du roman épistolaire, ont vieilli. On les retrouve cloîtrés à l’intérieur du musée de (leurs) amours avec les statues de (leurs) désirs en décomposition. Leur aire de jeu, leur terrain de chasse est toujours l’érotisme. Eros et Thanatos for ever.
Dans Merteuil, variation, spectacle imaginé à partir de fragments du texte de Quartett, la marquise de Merteuil est jouée par un homme, David Arribe. Après Moloch, spectacle dans lequel David incarne un Ogre imaginaire chez qui les fantômes du Boucher des Balkans et de Dracula se mêlent, s’est imposée l’idée de poursuivre avec lui l’exploration d’un territoire habité de prédateurs monstrueux, une plongée dans la nuit des corps. Merteuil est seule, elle rêve. L’image de Valmont l’habite, le désir palpite encore. Et la mort rôde, elle qui, selon Georges Bataille, « rejette l’homme dans l’animalité ». C’est dans la mise à mort qu’elle, qu’ils parviendront à l’apogée du désir. Au cœur de la pièce, il y a ces mots de Merteuil : Quelque chose vit entre l’homme et la bête. Que j’espère ne pas avoir à rencontrer, ni dans cette vie, ni dans une autre, à supposer qu’il y en ait une autre. A la seule pensée de son odeur, je sue de toutes mes pores. Mes miroirs exsudent son sang… Il m’arrive de rêver qu’il surgit de mes miroirs sur ses pieds de fumier et sans visages, mais je vois ses mains avec précision, griffes et sabots, quand il m’arrache la soie des cuisses et se jette sur moi comme la terre sur un cercueil, et peut-être sa violence est-elle la clef qui ouvre mon cœur. Il y a dans ces lignes l’expression d’une peur primordiale,originelle, où désir et haine seraient mêlés inextricablement, où l’un des premiers gestes exercés par l’autre sur soi-même serait un geste d’agression, d’une volonté imposée par la violence.
« Continuons à jouer. L’art dramatique des bêtes féroces ». Comme dans Quartett, où Merteuil et Valmont « jouent » à être Madame de Tourvel et Cécile de Volanges, deux proies séduites par Valmont, dans Merteuil, variation, Merteuil « joue » à être Valmont et Tourvel dans ce qui se révèle être le rituel de la mise à mort (une nouvelle fois) de Madame de Tourvel. Les ombres familières d’Artaud et de Genet veillent en coulisse.
Frisson des identités mouvantes, obsession de la jouissance, angoisse de la mort, et parfois l’écho d’un rire salvateur qui est celui d’une liberté qui s’affiche sans pudeur et sans masque à une époque trop souvent marquée par un moralisme exacerbé.
La fonction de l’art du théâtre (s’il en a une) n’est pas d’apporter des réponses aux questions qui agitent la société des femmes et des hommes, mais d’exposer en pleine lumière, de la manière la plus crue, le théâtre des opérations de nos tourments intimes et collectifs.
Jean-François Matignon, 13 septembre 2020
Merteuil, variation
d’après Quartett de Heiner Müller
mise en scène Jean-François Matignon
avec David ArribeLumière
Michèle MilivojevicProduction
Compagnie Fraction
Avec le soutien du Théâtre des Carmes –AvignonLa compagnie Fraction est subventionnée par La Direction Régionale des Affaires Culturelles PACA [Provence -Alpes -Côte d’Azur], par la Région SUD Provence-Alpes-Côte d’Azur
Théâtre de l’Epée de Bois
Du 17 au 27 février 2022
Du jeudi au samedi à 19h
Dimanche à 14h30
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