Le dramaturge et metteur en scène émeut aux larmes avec sa dernière création en forme de requiem, entre ciel et terre, pour une planète et des Hommes meurtris.
En 1977, alors que le jeu Pac-Man n’est pas encore sorti et que la chanson de Marie Myriam, L’Oiseau et l’enfant, résonne dans tous les foyers français, une fusée Titan décolle de la base américaine de Cap Canaveral. À son bord, les astronomes ont placé l’une des deux sondes spatiales du programme Voyager. L’objectif de ce vaisseau est aussi simple que vertigineux : parcourir l’ensemble du système solaire et rejoindre l’espace interstellaire grâce à l’assistance gravitationnelle des planètes rencontrées en chemin. Sur sa paroi extérieure, les équipes de la Nasa ont fixé un étrange objet, un disque phonographique recouvert d’or qui contient « tout ce que l’on voulait alors pour témoigner du meilleur de notre espèce, et de notre terre », résume Emmanuel Meirieu. Conçu à destination d’une éventuelle civilisation extraterrestre, ce message de l’humanité recèle 115 photographies, 27 musiques, une compilation de sons enregistrés sur notre planète, mais aussi 55 salutations prononcées en autant de langues différentes. Et parmi elles, nous raconte le metteur en scène, figurent la voix d’un petit garçon français, François, et la chanson de Blind Willie Johnson, Dark Was the Night, Cold Was the Ground. Décédé en 1945, à l’âge de 48 ans, des suites d’une pneumonie que l’hôpital de Beaumont au Texas avait refusé de lui soigner au motif qu’il était noir, pauvre et aveugle, le bluesman a vu son corps enseveli à la va-vite, dans un terrain vague transformé en cimetière pour les Noirs, celui de Blanchette.
Sans doute convaincu que la fiction peut soulager les maux de la réalité, Emmanuel Meirieu a fait pousser de somptueuses ramifications fictionnelles sur ce substrat réel – un enchevêtrement dont nous ne dévoilerons rien pour ne pas nuire à sa poétique – pour faire dialoguer par la bande, à quelques milliers de kilomètres de distance, deux hommes blessés. À jardin, au milieu des arbres plantés dans une colline duale – reproduction aussi fidèle que subjugante de celle où la dépouille de Blind Willie Johnson a été enterrée – s’affaire François, le petit garçon du Golden Record devenu grand, et apiculteur. Les yeux toujours rivés vers le ciel pour suivre les péripéties de son Voyager, l’homme est atteint, comme son père avant lui, de la maladie de Charcot et désespère de voir ses abeilles disparaître, essaim après essaim. À cour, au milieu d’un terrain vague jonché de déchets plastiques en tous genres, officie un homme sans nom. Épaulé par son fils, fan de Blind Willie Johnson, il sonde cette terre maculée pour retrouver le corps du chanteur, et lui offrir, enfin, une sépulture digne. Avec les moyens du bord – une débroussailleuse, de la mousse à raser, de la rubalise, un radar de sol –, il en profite pour cartographier le souterrain et redonner une identité aux descendants d’esclaves enterrés là, sans cercueil ni tombe.
À la manière du réalisateur chilien Patricio Guzmán qui, dans son film Nostalgie de la lumière, fait se répondre, dans un subtil écho, les quêtes d’astronomes qui observent le ciel du désert d’Atacama et de femmes qui fouillent le sol à la recherche des restes de leurs proches disparus pendant la dictature de Pinochet, Emmanuel Meirieu entretient, dans Dark was the night, une série de parallèles et de correspondances bouleversantes, capable de recoudre une humanité en lambeaux. Au fil de ce dialogue entre les époques, entre les vies, entre passé lointain et présent douloureux, mais aussi entre ciel et terre, le dramaturge et metteur en scène orchestre un requiem pour une planète et des Hommes meurtris, et transforme le Golden Record en dernière relique d’une civilisation et d’un écosystème en voie d’extinction. Dans une ambiance mélancolico-nostalgique, portée par la musique de Raphaël Chambouvet, qui s’est inspiré, notamment, des 27 morceaux présents sur le disque de la Nasa, tout déborde d’humanité, de délicatesse, de finesse et de précision, y compris dramaturgique. Conscient qu’il ouvrait là les portes d’un monde tout entier, Emmanuel Meirieu a même imaginé un prologue vidéo, à la fois drôle et sensible, en forme de sas préparatoire à la déflagration émotionnelle qui s’ensuit.
D’une richesse inouïe dans sa façon d’explorer la puissance symbolique, et émotionnelle, du moindre détail – des chiffres mal agencés sur les photographies du Golden Record aux images d’époque envoyées par la sonde Voyager –, le travail du metteur en scène profite aussi de l’écrin scénographique immersif qu’une nouvelle fois, après ceux des Naufragés et de La Fin de l’homme rouge, il a su méticuleusement concevoir avec l’aide de Seymour Laval et des ateliers du Théâtre du Nord. À la fois hostile et magnétique, cette colline organique semble être, pour partie, à l’origine du tremblement humain, trop humain, qui, de part en part, traverse le spectacle. En équilibre précaire, Stéphane Balmino, François Cottrelle, Jean-Erns Marie-Louise, Nicolas Moumbounou et Patricia Pekmezian, tous déchirants, sont obligés de cheminer à tâtons, dans une fragilité sublime qui sied parfaitement au texte d’Emmanuel Meirieu. Plus qu’à un voyage dans le temps et dans l’espace, c’est alors à un voyage en nous-mêmes que l’artiste, à travers ce « monument aux oublié.e.s », nous invite, à la recherche de ce fol espoir qui, un jour, a permis à des femmes et des hommes d’y croire, et d’envoyer un vaisseau aux confins de l’univers.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Dark was the night
Texte et mise en scène Emmanuel Meirieu
Avec Stéphane Balmino, François Cottrelle, Jean-Erns Marie-Louise, Nicolas Moumbounou, Patricia Pekmezian
Musique originale Raphael Chambouvet
Décor Seymour Laval, Emmanuel Meirieu
Costumes Moïra Douguet
Lumière Seymour Laval
Son Felix Muhlenbach
Maquillage Emmanuelle Gendrot
Vidéo Emmanuel Meirieu
Réalisation de la structure principale du décor Ateliers du Théâtre du Nord
Peintres de décor Bloc Opératoire Emilie Barbelin, Jules Cruveiller, Doriane Fréreau, Suzanne Sebo
Conseillère en apiculture Yanna Javaudin
Conseillère en chant lyrique Odile HeimburgerProduction Le Bloc Opératoire ; MC2 Maison de la Culture Grenoble
Co-production Théâtre du Nord, Centre dramatique national ; Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux ; Comédie de Genève ; Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne ; La Machinerie, Théâtre de Vénissieux ; Les Scènes du Golf, Théâtres de Vannes et Arradon ; Théâtre Durance à Château-Arnoux-Saint-Auban Scène conventionnée ; DSN Dieppe Scène nationale ; Châteauvallon-Liberté Scène nationale ; Le Carré Scène nationale ; Théâtre l’Air Libre, CPPC Scène conventionné Rennes ; Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence ; Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée ; Théâtre de l’Olivier Scènes et Cinés, Scène conventionnée ; Quai des Arts, Argentan ; Le Sémaphore, Port-de-Bouc ; Scène nationale Grand Narbonne ; Théâtre d’Aurillac, Scène conventionnéeLa compagnie Bloc Opératoire est soutenue par la DRAC Auvergne Rhône-Alpes, la région Auvergne-Rhône-Alpes et la Ville de Lyon.
Durée : 1h45
Théâtre du Nord, L’Idéal, Tourcoing
du 12 au 15 octobre 2022Mons arts de la scène, Théâtre de le Manège
le 19 octobreThéâtre de Bourg-en-Bresse
les 9 et 10 novembreThéâtre Durance, Château-Arnoux
le 15 novembreThéâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
du 17 au 19 novembreThéâtre de l’Olivier, Istres
le 22 novembreChâteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon
les 24 et 25 novembreLe Sémaphore, Port-de-Bouc
le 29 novembreLa Machinerie, Vénissieux
le 2 décembreThéâtre des Quartiers d’Ivry
du 8 au 14 décembreQuai des Arts, Argentan
le 10 janvier 2023Dieppe Scène nationale
le 12 janvierScènes du Golfe, Théâtres Vannes Arradon
les 17 et 18 janvierThéâtre L’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande
les 20 et 21 janvierEspace Malraux, Chambéry
les 24 et 25 janvierLes Célestins, Théâtre de Lyon
du 31 janvier au 4 févrierLe Carré, Château-Gontier
le 7 févrierComédie de Genève
du 15 au 19 févrierMaison des Arts du Léman, Thonon
le 21 févrierLes Gémeaux, Scène nationale de Sceaux
du 9 au 18 marsScène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
le 21 mars
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