Pour sa première véritable incursion dans le domaine du jeune public, Myriam Boudenia réussit un attachant voyage animé. Ou comment partager l’éblouissement d’ancêtres fantasmés qui quittent leur abri sous terre pour découvrir la lumière.
Ils sont enfant à tête de crocodile, papa à œil de chat, et s’appellent les « humanimaux ». Ils vivent sous terre jusqu’à ce que l’enfant-cerf sente des petits cailloux lui tomber sur la tête. Cette terre, c’est celle que déblaie la taupe pour remonter à la surface. C’est donc qu’il y a une surface, mais la bête griffue ne peut pas la décrire, car… elle est aveugle ! Chacun des habitants du dessous va donc suivre son tunnel et voir le jour. Pour raconter cela aux enfants dès 6 ans, alors qu’elle s’adressait jusque-là aux adultes ou aux adolescents, Myriam Boudenia fait de son habituel scénographe le co-concepteur de Dans la grotte. Quentin Lugnier, au plateau avec la comédienne Béatrice Venet et le musicien Sébastien Quencez, invente un univers visuel aussi artisanal que beau. Sur sa plaque de verre, à travers un canevas de papier découpé ou dans une grotte miniature, il donne des mouvements à ces animaux étranges dotés de la parole. Ce petit théâtre d’ombres est d’ailleurs qualifié de « Super Kamishibaï », en écho au genre narratif traditionnel japonais qui prend la forme d’un mini-théâtre ambulant dans lequel le conteur manipule des images pendant qu’il parle, le Kamishibaï.
Les rôles sont ici poreux. Chacun s’invente dans le champ de l’autre, et les trois protagonistes donnent de la voix ensemble pour des chansons qui amorcent le spectacle, ou en faisant dialoguer l’enfant-cerf avec un ver et l’albatros (« l’albatriste »), à l’aide de cartes dessinées posées alternativement sous la caméra comme on abat un jeu… de cartes. La séquence, très réussie, est à l’image de ce court spectacle : rythmée et narrative. La pièce est emplie de belles trouvailles sonores, visuelles et narratives. Arrivés sur la terre, les humanimaux sont éblouis par la lumière – un blanc aveuglant au plateau –, puis pris de panique par la tombée de la nuit, au point qu’ils se réfugient à nouveau en sous-sol où ils viennent dessiner ce qu’ils ont vu. Bienvenue dans la préhistoire, et avec reconstitution en live de l’art pariétal, tout comme a pu le faire récemment Benoît Lambert dans Au début…, sur un versant plus réaliste et didactique – il était question de bien apprendre les différentes ères et de considérer la nôtre sur une immense frise historique faite d’ampoules. Le son accompagne toute cette odyssée, à commencer par celui produit par un enfant du public qui vient inscrire son prénom sur une « tablette » d’antan, une plaque d’ardoise sur laquelle crisse un caillou. Voici la première boucle sonore qui sera samplée au cours du spectacle. Les autres instruments « à frapper, frotter, secouer » auraient pu exister à l’époque, nous dit-on.
Même si la notion de famille – de toutes les sortes de familles qu’on s’invente plutôt que celle du sang –, esquissée au début de la pièce, aurait gagné à être développée, Dans la grotte est une proposition qui fait judicieusement le choix de la fiction, du fantastique, et qui fraye même avec la peur en n’hésitant pas, à deux reprises, à plonger scène et salle dans le noir. Après l’univers des légendes médiévales qui accompagnait le personnage de la lycéenne hospitalisée dans Viviane, une merveille, Myriam Boudenia et sa fidèle équipe de la compagnie La Volière, qu’elle a fondée en 2014, trouvent, en s’adressant aux enfants, une grammaire très aboutie.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Dans la grotte
Conception, dessins Quentin Lugnier
Texte, mise en scène Myriam Boudenia
Avec Béatrice Venet, Sébastien Quencez, Quentin Lugnier
Création sonore Sébastien Quencez
Scénographie Quentin Lugnier
Création lumière Julie-Lola Lanteri
Régie générale Chloé BarbeProduction La Volière
Coproduction Théâtre de Villefranche ; Le Ciel – Scène européenne pour l’enfance et la jeunesse de Lyon ; Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon ; Espace 600 – Grenoble ; La Batysse – lieu dédié aux arts de la marionnette de Pélussin
Partenaires Fonds de soutien doMino – lauréat 2023, L’Auditorium Seynod – Scène régionale de Haute-SavoieDurée : 50 minutes
À partir de 6 ansVu en janvier 2025 au Ciel, Lyon
Théâtre de la Renaissance, Oullins
du 18 au 26 févrierEspace Aragon, Villard-Bonnot
du 10 au 15 marsLe Vellein – scènes de la CAPI, Villefontaine
du 24 au 29 marsCommunauté d’agglomération de L’Ouest Rhodanien
les 11 et 12 avrilTrain Théâtre, Portes-lès-Valence
les 16 et 17 avril
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