Dans Daddy Papillon, la folie de l’exil, Naéma Boudoumi fait appel au cirque, au théâtre et à la danse pour dessiner le monde intérieur d’un immigré. On découvre un univers visuel singulier, affaibli hélas par un récit plus classique.
C’est d’abord dans un vaste tas de fils multicolores qu’apparaît le circassien Carlos Limas. Débraillé, hirsute, il tente de s’y cacher avant d’y faire une petite danse, pour bientôt s’enfouir à nouveau sous la laine. Le tout sans paroles, jusqu’à ce que le rejoignent les deux autres interprètes de Daddy Papillon, la folie de l’Exil, accoutrés en pompiers. Soient le comédien Arnaud Dupont et le circassien Maxime Pairault, dont les paroles, souvent sous forme d’interrogatoires, nous renseignent tout au long de la pièce sur le personnage incarné par leur comparse. On apprend son nom : Monsieur B. Son lieu de vie : quelque part en France. Sa profession : chef de chantier en arrêt depuis un accident. Origine : Algérie.
C’est donc d’exil que parle Naéma Boudoumi dans ce spectacle créé aux Plateaux Sauvages, avec un désir manifeste d’imaginer d’autres formes que celles du théâtre documentaire ou documenté, souvent utilisé par les compagnies, de plus en plus nombreuses, qui se consacrent au sujet. En réunissant des artistes issus de plusieurs disciplines – théâtre (Pierre-Philippe Meden, dramaturge), danse (chorégraphe pour le cirque) et surtout cirque –, la metteure en scène souhaitait, explique-t-elle dans le dossier du spectacle, « proposer une écriture transversale, un voyage visuel et sonore ». Elle voulait donner à voir « l’épopée ubuesque d’un immigré malade et rendre compte de notre fragile équilibre ». Les tableaux très visuels qui se succèdent dans Daddy Papillon, la folie de l’Exil témoignent de cette belle recherche. Avec une réussite inégale.
Parmi la dizaine de scène qui composent la pièce, les plus oniriques, les moins théâtraux, sont en général les plus réussis. Comme la danse initiale, ou encore un dialogue quasi muet entre Monsieur B et une mouche géante gesticulée par Maxime Pairault. Lorsque Naéma Boudoumi se met à vouloir raconter autre chose que le drôle d’univers intérieur de son Monsieur B, le résultat est plus aléatoire. Absurde, la conversation de sourds entre le héros et les pompiers augurait pourtant du meilleur. Monsieur B y est un cousin de Monsieur K de La Métamorphose : il ne comprend rien à ce qui lui arrive, et raisonne d’une manière si particulière que seul lui peut s’y retrouver. Et encore. C’est lorsque le langage se fait plus classique, les situations plus naturalistes, que Daddy Papillon manque de « la folie de l’Exil » promise par le titre.
Avouant être « la fille d’un père sujet à l’hallucination et à la bouffée délirante », l’artiste confirme ce qui n’est dans Daddy Papillon que sous-entendu : la dimension très personnelle de ce spectacle. Son rôle réparateur pour Naéma Boudoumi, qui éclaire sa difficulté à choisir entre un récit linéaire de l’exil et une évocation plus poétique. Entre une histoire ancrée dans le contexte franco-algérien, avec les tragédies et les non-dits que l’on connaît, et une histoire plus ouverte. Davantage construite par le spectateur, qui pour Jerzy Grotowski dont elle se revendique est le principal artisan d’un spectacle, que par l’interprète. L’équilibre de Daddy Papillon est complexe, fragile ; il mérite d’être encore interrogé.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Daddy Papillon, la folie de l’Exil
Texte et mise en scène : Naéma Boudoumi
Conseil dramaturgique : Pierre Phillipe Meden
Cirque chorégraphique : Anna Rodriguez
Scénographie numérique : Serge Meyer
Création sonore : Thomas Barlatier
Scénographie textile et création costume : Sarah Topalian
Création lumière : Paul Galeron
Création sonore : Thomas Barlatier
Avec Arnaud Dupont, Carlos Lima et Maxime Pairault
Production Compagnie Ginko, Lauréate Association Beaumarchais-SACD, Catégorie Mise en Scène
Coréalisation : Les Plateaux Sauvages
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France, de l’ADAMI, de la SPEDIDAM, du Conseil Départemental de la Seine Maritime, de la Ville de Rouen, de la Ville de Paris (aide à la diffusion), Espace Périphérique (Ville de Paris – La Villette), Association Beaumarchais SACD, CIRCA La Chartreuse Villeneuve lez Avignon, Les Plateaux Sauvages, Théâtre Paris-Villette, Mains d’Œuvres, L’Etincelle de la Ville de Rouen, Le Relais Catelier, Théâtre des Bains Douches en co-accueil avec la Scène Nationale Le Volcan, Festival Art et Déchirure. Avec le soutien de l’ODIA et du CDN de Rouen dans le cadre de la journe´e des maquettes.Durée : 1h15
La Tempête
Du 19 au 23 mai 2021
mercredi, jeudi et vendredi 18h30, samedi 15h et 18h30, dimanche 16h30 (horaires sous réserves de modifications)
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !