Avec sa dernière création, Circus Ronaldo célèbre ses 180 ans. En mettant son cirque-théâtre reconnaissable entre tous, hors du temps, au service d’une chronique de l’ensemble son histoire, la compagnie se lance un défi de taille. Faute de nourrir sa démarche d’un travail assez conséquent sur l’évolution des formes artistiques, elle peine à lui donner vraiment consistance.
L’histoire des Ronaldo est incroyable et, à l’heure où le nombre de grandes familles de cirque encore dans le métier se réduit à presque rien, ils ont bien l’intention de le faire savoir. Si cette vaste fratrie, dont le nom italien n’est que le premier des nombreux jeux de masque – d’origine flamande, elle a porté plusieurs noms avant d’adopter, autour de 1971, le patronyme qu’elle arbore encore aujourd’hui –, a toujours nourri son art de son vécu itinérant, celui-ci est depuis quelques années au cœur de ses créations. C’est l’un des deux fils de la sixième génération, Danny, frère de David, tous les deux fils de Johnny Ronaldo et de Maria Van Vlasselaer, qui tient les manettes de cette orientation autofictive. Dans l’excellent Sono io ?, toujours en tournée, l’artiste met ainsi en scène sous la forme d’un duo clownesque la relation qu’il entretient avec son fils Pepijn, digne successeur de la vaste lignée. En papa nostalgique d’une gloire circassienne qu’il ressasse au fond de sa baignoire, lorsqu’il ne se laisse pas aller à l’illusion d’une jeunesse retrouvée, Danny convoquait son roman familial par un jeu burlesque largement nourri par la réactivation de numéros anciens.
Souvent présenté en diptyque avec ce duo, comme c’est le cas à l’Espace cirque d’Antony – Pôle National Cirque où nous le découvrons, Da Capo continue d’explorer l’épopée familiale, en convoquant cette fois toutes celles et ceux qui la tiennent en vie à ce jour, ainsi que quelques invités. Depuis Sono io ?, le Danny Ronaldo qui nous accueille sous le chapiteau a repris des forces. Il a regagné un peu d’aplomb pour se lancer dans une grande entreprise qu’il nous présente dans le même « gromelot aux intonations italiennes, à la fois burlesque et universel » que dans son spectacle précédent – on ne se refait pas chez les Ronaldo. Il va nous exposer, annonce-t-il plein d’emphase, l’histoire de sa fameuse lignée. Mais ce drôle de Monsieur Loyal, qu’on ne peut s’empêcher de revoir encore liquéfié dans sa salle de bains, a la mémoire courte : pour lui, les origines du Cirque Ronaldo ne remontent guère plus loin qu’à ses parents, qui donnèrent à la compagnie son nom actuel. Surgit alors le frangin David, qui n’a pas quitté la barque familiale : s’il faut rembobiner toute l’histoire des Ronaldo, c’est un siècle plus tôt qu’il faut commencer, soutient-il. La petite voiture de Johnny et Maria disparaît alors fissa de la piste où elle était venue se garer, pour laisser place à un attelage beaucoup plus rudimentaire, entouré de saltimbanques cracheurs de feu et d’échassiers.
Cette introduction nous fait bien des promesses, très cohérentes avec la place singulière qu’occupe Circus Ronaldo dans le paysage du cirque actuel, quelque part dans l’espace qui sépare un cirque traditionnel en nette perte de vitesse et un cirque de création en questionnement et métamorphose permanente. L’air de rien, la bagarre fraternelle nous fait miroiter une lecture critique du passé familial, et donc de l’histoire des disciplines qui le traversent. Très réussi, ce début de Da Capo prend aussi le relai de Sono io ? en matière de recherche autour de numéros anciens, soit totalement oubliés, soit réduits dans les imaginaires collectifs à des formes souvent clichées. Dans un contexte d’éloignement et de tension entre cirque traditionnel et contemporain, ce travail apparaît comme une voie de réconciliation des plus fertiles. Il fait la force du premier tableau du spectacle qui, pour la famille, tient lieu de mythe originel. L’un de ses descendants y joue en effet le rôle d’Adolf Peter Van den Bergh qui, en fuyant de chez lui à l’âge de quinze ans, fut, au milieu du XIXe siècle, le tout premier membre de la famille à entrer dans le monde du cirque où il commence comme palefrenier pour finir cavalier acrobate de renom. Les débuts chaotiques de cet ancêtre, qui laissent régulièrement place à des scènes de pantomime où s’agitent un Pierrot, un Arlequin et une Colombine qui deviendra sa femme, sont d’une grande richesse. Le répertoire circassien s’y déploie avec une grâce particulière et une forme de cirque-théâtre qui doit beaucoup à cet amour premier entre un acrobate et une femme de commedia dell’arte.
Le mariage des arts en début de spectacle, qui tient tout au long de Sono io ?, perd hélas ensuite de sa solidité. Sans doute l’altération est-elle due en partie à la trajectoire artistique familiale que tend à retracer la troupe. Pour les deuxième et troisième générations, lit-on sur le site internet des Ronaldo qui témoigne très bien du soin qu’ils mettent à garder vivantes leurs racines, les numéros de cirque et de cheval disparaissent au profit du seul théâtre, avant de faire leur retour à la période Johnny. Dans Da Capo toutefois, le mouvement constant qui anime la piste, où plusieurs niveaux d’action tentent bien souvent d’exister en simultané sans y parvenir tout à fait, rend difficilement lisible les évolutions de l’art familial. Si Danny Ronaldo et ses nombreux complices de tous âges – la doyenne de la compagnie veille sur tout ce petit monde depuis un fauteuil placé en bord de piste, tandis que la cadette, toute jeune, éblouit de son habileté en bien des disciplines – cherchent aussi à donner à voir les grands événements de l’Histoire qui percutent la destinée nomade de la lignée, c’est dans une théâtralité assez démonstrative. Les scènes évoquant par exemple la crise de 1933 ou la fin de la guerre de 1945 évacuent malheureusement le cirque, qui aurait pourtant pu être un angle d’approche singulier de périodes largement traitées par ailleurs.
Les quelques numéros méconnus d’hier que Circus Ronaldo sauve de l’oubli sont formidables, bien que souvent écrasés par tous les langages activés au même moment. De même pour l’esquisse de reconstitution de certains types de spectacles de places de village, comme cette scène de tornade en carton-pâte où se débat un pirate échevelé. On peine toutefois à voir dans leur enchaînement le reflet d’une transformation pourtant constante des arts du cirque, notamment au début des années 1970, qui marquent son entrée dans ledit « nouveau » cirque. On a la sensation de passer de peu à côté d’une rencontre riche et profonde dans Da Capo, qui, au bouleversement, a tendance à privilégier le divertissement.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Da Capo
Conception et mise en scène Danny Ronaldo
Avec Danny Ronaldo, David Ronaldo, Nanosh Ronaldo, Pepijn Ronaldo, Angelo Ronaldo, Adanya Ronaldo, Karel Creemers, Corneel Didier, Rachel Ponsonby, Marie Parrinet, Elisa Cheryl Vizioli, Brechje De Ruysscher, Maria Ronaldo, Frauke Verreyde, Flor Huybens, Niko Heremans
Technique Flor Huybens, Niko Heremans
Mise en scène finale Frank Van Laecke
Création sonore David Van Keer, Steven Pringels, Pepijn Ronaldo, Rachel Ponsonby
Production Circus Ronaldo
Coproduction hetpaleis (Anvers) ; Theater op de Markt – Dommelhof (Pelt) ; Théâtre Firmin Gémier / La Piscine – Pôle national des arts du cirque (Châtenay-Malabry) ; Latitude 50 – pôle des arts du cirque et de la rue (Marchin)
Avec le soutien de De Warande (Turnhout), 30 CC Cultuurcentrum Leuven, Gemeenschapscentrum ’t Blikveld (Bonheiden), Tax Shelter en de Vlaamse GemeenschapDurée : 1h30
L’Azimut, Espace Cirque d’Antony – Pôle National Cirque
du 6 au 15 décembre 2024Culture Central Brugge (Belgique)
le 23 décembreCultuurcentrum De Werf, Aalst (Belgique)
du 4 au 6 avrilCultuurhuis Stroming, Berlare (Belgique)
du 11 au 13 avrilCC Diest (Belgique)
du 19 au 21 avrilCC De Borre, Bierbeek (Belgique)
du 25 au 27 avril
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