La comédienne allemande Judith Rosmair revisite la figure d’Anna Karénine dans Curtain Call ! à la Colline. Un spectacle qui entrelace des fictions sans parvenir à imposer son style, comme si l’autrice-interprète n’était pas allée au bout de ses intentions.
Judith Rosmair nous vient d’Allemagne où sa carrière d’actrice l’a conduite à travailler avec les plus célèbres des metteurs en scène, Stemann, Castorf, Richter ou encore Ostermeier (que des hommes…). On l’a également vue à la Colline dans Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad (encore un). Déprogrammé en raison du Covid, son Curtain Call ! a déjà pas mal tourné et vient en ce début d’année occuper le plateau du Petit théâtre qu’il aurait dû investir il y a quatre ans. Premier texte écrit par l’actrice, ce monologue qu’elle interprète en compagnie d’un musicien, Johannes Lauer, tourne autour de la figure d’Anna Karénine, l’héroïne de Tolstoï qui après l’échec de son aventure amoureuse avec Vronski finit tragiquement par se jeter sous les roues métalliques d’un train.
C’est d’ailleurs par ce rêve que Judith Rosnair démarre son spectacle, couchée sur un praticable tandis qu’au trombone, Johannes Lauer fait monter la respiration saccadée de la locomotive à vapeur qui se rapproche à pleine vitesse. Il ne s’agit cependant pas pour la comédienne autrice de se jeter dans les bras de l’héroïne comme cette dernière se jette dans ceux de son amant. Mais plutôt de traiter ce modèle littéraire avec toute la distance qui sied à une femme du XXIème vis-à-vis d’une héroïne du XIXème imaginée par un auteur qui ne brillait pas par son féminisme. Avec circonspection et méfiance donc, et via le tuilage d’histoires qui s’imbriquent les unes dans les autres. Celle de cette actrice qui ne trouve pas le sommeil à la veille de sa première représentation d’Anna Karénine. Celle de cette mère qui lit le roman à sa fille qui, devenue grande, découvre le journal intime où elle relate la maladie qui va la tuer. Et celle de l’héroïne russe elle-même.
Curtain Call ! déploie donc un récit qui mélange les époques, la fiction et les souvenirs, le tragique et les scènes parodiques, l’hier et l’aujourd’hui. Un voyage imaginaire qui passe sans transition d’un personnage à l’autre dans la pleine tradition d’un théâtre capable de faire revivre les fantômes et de traverser sans encombre les frontières qui séparent ordinairement le rêve de la réalité. Composition baroque, Curtain Call ! n’est cependant pas assez barré pour que le spectateur soit emporté dans le flot sinueux de ses rêveries à tiroirs tout droit sorties d’un esprit insomniaque. Quelque chose résiste en effet, qui n’est certainement pas lié à l’engagement de la comédienne dans son interprétation, ni à l’agréable et élégant accompagnement bruitiste et musical qu’opère Johannes Lauer. Mais peut-être au côté tenu de la narration, qui lie les différents récits par le sens et propose une performance où pas grand-chose ne déborde même si elle paraît défier les règles académiques. C’est comme si la folie noire qui gagne les personnages ne parvenait pas à passer au plateau, laissant un spectacle construit sur des parallèles exhiber son architecture tortueuse sans jamais parvenir à faire vibrer l’esprit torturé de ses héros. Alors petit à petit, les efforts et les effets de Judith Rosmair paraissent de plus en plus factices, ses histoires artificielles. On se raccroche à la critique que le spectacle opère sur la mythique héroïne russe et à la fantaisie un brin rock dont fait preuve l’actrice qui en profite pour se moquer du landerneau théâtral et de la place qu’il réserve aux femmes, mais quand ça ne prend pas, ça ne prend pas. La fin shakespearienne en forme de rêve-réalité nous le confirme, relevant plus d’une nouvelle allégeance à la tradition que d’un esprit punk qu’on aurait aimé voir se déployer davantage.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
CURTAIN CALL!
un spectacle de et avec Judith Rosmair, accompagnée de Johannes Lauer
musique Uwe Dierksen
mise en scène Johannes von Matuschka
spectacle en allemand surtitré en français
durée 1h10Trilogie des secrets composée de Al Atlal Chant pour ma mère de Norah Krief, Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? de Anouk Grinberg et CURTAIN CALL! de Judith Rosmair est présentée en version intégrale les samedis et dimanches à 16h
La Colline
du 9 au 21 janvier 2024 au Petit théâtre
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
spectacle en allemand surtitré en français
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