Le metteur en scène flamand Luk Perceval en résidence au NTGent poursuit sa trilogie The Sorrows of Belgium entamée en 2019. Dans l’attente de spectateurs, son deuxième volet intitulé Yellow paraît sous la forme d’un film puissant et bouleversant.
Pour raconter l’histoire de son propre pays, Luk Perceval a eu l’idée originale de construire une trilogie dont chacune des trois parties prendrait pour titre une des trois couleurs qui constituent le drapeau belge noir, jaune, rouge. Chaque pièce relate un épisode historiquement sombre, dramatique ou polémique, d’un point de vue politique mais aussi et surtout humain. Tandis que Black narrait l’exploitation du Congo sous le règne de Leopold II et que Red devrait traiter des récents attentats terroristes survenus à Bruxelles, le maillon intermédiaire intitulé Yellow revient sur la collaboration flamande avec les nazis pendant l’occupation. Il est aussi glaçant d’entendre prononcer sur scène les discours de propagande en flamand, allemand et français et s’exalter l’effervescence d’une jeunesse galvanisée, fascinée par Hitler, que profondément bouleversant de suivre des destins individuels violemment tragiques confrontés à la désunion, la désillusion.
A quoi faut-il croire ? semble demander le spectacle dont l’intrigue débute sur le départ de Jef, un jeune garçon de bonne famille qui se fait membre volontaire de la Légion flamande (parti fasciste Rex fondé par Léon Degrelle). En partance vers l’Est comme en croisade pour combattre au côté des Allemands l’ennemi judéo-bolchévique, il laisse ainsi démunis ses parents et sa famille réunis autour d’une longue table autour de laquelle des drapeaux flottent dans un ouragan tempétueux avant que ne s’abattent magnifiquement de gros flocons de neige qui recouvrent et engloutissent les anciennes photos, les livres, les coupures de presse, tout de leur vie passée.
Luk Perceval réalise un travail d’une rigueur et d’une probité magnifiquement restituées par la réalisation filmique de Daniel Demoustier. En noir et blanc et en plans très serrés, celle-ci met le spectateur au cœur d’un drame austère et concernant. La pièce se passe dans les années 1930 mais ne se réduit pas à une reconstitution historique. Si les costumes très simples renvoient à cette époque, le propos lui ne peut prétendre qu’à l’universalité tant il questionne avec pertinence la place et la valeur des idéaux dans le monde d’hier mais aussi celui d’aujourd’hui. Ainsi peut-on entendre de la bouche d’un des acteurs comme un écho aux sujets de société qui bousculent l’actualité : « Pourquoi les gauchistes soutiennent-ils avec autant d’assurance et d’arrogance l’Islam et les minorités trop visibles en Europe et dans notre pays ? ». Le metteur en scène ne se permet aucun écart vers le commentaire anecdotique. Aucune dérive provocatrice. Aucun excès moralisateur. Rien ne tombe dans la facilité. Au moyen d’une esthétique formelle à la fois épurée et écorchée qui est la caractéristique même de son geste théâtral, il développe un art du récit vibrant de verve romanesque et un regard puissamment analytique.
Convaincus que le national-socialisme débouche sur un probant avenir et que l’idéologie nazie réponde à leur aspiration d’un nouvel ordre, les personnages mis en scène se présentent profondément complexes, s’exposent dans leurs limites, leur compromission, leur bêtise, leur effroi, leur douleur, leur errance. Ils sont campés sans pitié, sans jugement, par des comédiens d’une éloquence, d’une véhémence grandioses, aussi bien dans la retenue que dans les moments plus soutenus, toujours sur le fil de l’émotion que la caméra nécessairement décuple en abolissant toute distance et que renforce la musique abondante de Sam Gysel, d’une douce et hurlante mélancolie. C’est la grande force de ce spectacle que de produire un discours intellectuel qui ne se départit pas d’une dimension sensible et même sensuelle lorsque la danse intervient d’une manière fiévreuse. La tension et l’émotion y sont véritablement au service de la pensée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Yellow. The Sorrows of Belgium II: Rex
de et mis en scène par Luk Perceval au NTGent (Belgique)
Version filmique de Daniel Demoustier accessible au public le vendredi 19 mars (et pendant 48 heures) après réservation sur www.ntgent.be
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