La Batsheva Dance Company est de retour en tournée en France. Venezuela est à l’affiche à Chaillot : une pièce versatile qui travaille aussi bien la répétition que la transformation de ses motifs.
Dans ce nouvel opus, plus âpre, austère, moins immédiatement séduisant que d’autres pièces de Naharin, on reconnaît bien l’énorme énergie et la belle organicité d’une danse résolument vigoureuse et véhémente portée par la force d’un collectif de dix-huit danseurs très en forme et en verve. Ces qualités se déploient dans un mystérieux alliage entre le mouvement convulsif des corps criants, bondissants, gesticulants, à l’occasion de courses circulaires, d’allers-retours incessants, de pas pleins d’une vivacité sensuelle d’inspiration latino, et le hiératisme méditatif des chants sacrés qui les accompagnent pendant toute la première partie de la représentation. Celle-ci est rigoureusement divisée en deux actes de quarante minutes chacun. Le même enchaînement de mouvements se répète donc, à la différence que les interprètes se redistribuent les rôles et que la musique change diamétralement.
Ce changement d’habillage sonore (habilement opéré par Maxim Waratt qui n’est autre que Naharin lui-même) produit un total décalage et modifie notre perception de l’œuvre, de sa dynamique, de son rapport au temps. L’expérience est fascinante car, bien qu’identique, la chorégraphie semble différente. La solennité prime d’abord dans un tableau couleur de deuil. Les mêmes pas répétés sur du rap (Dead Wrong de Notorious B.I.G.) ou du rock (Bullet in the head du groupe Rage Against the Machine) deviennent plus urgents, draconiens.
Survoltée, la seconde moitié du spectacle paraît plus en conformité. S’il y a évidemment friction dans cette pièce volontiers bipolaire, son propos n’est pas pour autant le conflit. Au contraire, l’union insolite de matériaux composites rend à la fois inconfortable et saisissante la réception de l’œuvre qui multiplie les possibles. La proposition n’a pas vocation à nous perdre dans des intentions et orientations contradictoires. Son but est rassembleur. La méthode Gaga repose essentiellement sur l’écoute, le dialogue, la rencontre. C’est ce que prône, à sa manière, cette pièce très aventureuse dont l’intérêt est de montrer combien tout fait danse et sens. Les deux parties du spectacle valent pour elles-mêmes autant que pour la relation qu’elles entretiennent entre elles. Elles témoignent d’une liberté créatrice jamais démentie et d’une volonté permanente d’échanges et de connexions.
C’est ainsi que la danse de Naharin se place dans le champ politique et existentiel. On se souvient de la portée subversive de la scène des drapeaux dans Wolf d’Alain Platel, ici, des drapeaux nationaux sont aussi convoqués et tapés au sol dans un geste absolument rageur. Venezuela réfléchit la danse et est aussi porteur d’un message pour le monde.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Venezuela
CHORÉGRAPHIE Ohad Naharin
LUMIÈRES Avi Yona Bueno (Bambi)
MUSIQUE Maxim Waratt
COSTUMES Eri Nakamura
MAÎTRE DE BALLET Natalia Petrova
ASSISTANT À LA CHORÉGRAPHIE Omri Mishael
ASSISTANT À LA CHORÉGRAPHIE ET AUX COSTUMES Ariel Cohen
ACCESSOIRES Roni AzgadAVEC 18 danseurs
PRODUCTION BATSHEVA DANCE COMPANY
COPRODUCTION CHAILLOT – THÉÂTRE NATIONAL DE LA DANSE / HELLERAU – EUROPEAN CENTER FOR THE ARTSAVEC LE SOUTIEN DU COMITÉ DES MÉCÈNES DE LA SAISON FRANCE-ISRAËL 2018 : FONDATION DU JUDAÏSME FRANÇAIS, LVMH, ORANGE, AÉROPORTS DE LA CÔTE D’AZUR, DANONE, COMPAGNIE FINANCIÈRE DU LION, HAVAS ET INFRAVIA CAPITAL PARTNERS
Durée: 1h20Chaillot – Théâtre national de la Danse
du 12 au 27 mai 2022
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