Au festival Actoral de Marseille, le metteur en scène et plasticien italien Romeo Castellucci a déployé The Third Reich, un diptyque chorégraphique où spectacle vivant et installation vidéo se répondent pour figurer le détournement du langage et la destruction du libre arbitre. Une expérience sensorielle violente, aux intentions explicites, qui plonge dans une ambiance de mort et tue la pensée.
« Et si la vraie terreur, c’était le verbe – ou son criminel dévoiement de masse à l’ère contemporaine ? » annonce la feuille de salle. Malgré le teneur sombre de son titre, on ne s’attendait en effet pas à ce que dans The Third Reich, dernière performance du metteur en scène et plasticien Romeo Castellucci, les mots prennent des allures si horrifiques, en livrant une chorégraphie de la violence aux allures rituelles.
Dans une salle où l’espace scénique est quasi au même niveau que le public, une colonne vertébrale est posée sur le sol, éclairée comme une sculpture dans un musée et une bougie, apparaît un personnage en grand imperméable noir à capuche, ganté de noir. C’est un Charon à la démarche décidée, une apparition irréelle, qui répand une densité sinistre sur le plateau, où il prend des poses. Au bout de quelques minutes, le personnage se décoiffe, révélant un visage féminin. La danseuse, Gloria Dorliguzzo déplie alors une danse à l’air martial, qui semble inspiré des danses hip-hop debout, locking ou waacking. Ses mouvements de bras précis, saccadés semblent nous envoyer des signes. Une danse entrecoupée par la manipulation des objets – elle allume la bougie et brise la colonne vertébrale – pour nous donner à voir un rituel à la violence sourde et indéchiffrable.
Au bout d’une dizaine de minutes, la danseuse disparait pour laisser la place à une chorégraphie bien plus épouvantable. Sur un grand écran noir défilent des mots au rythme d’un beat, martelé avec une violence inouïe, une techno froide, composé par Scott Gibbons, qui scande les projections visuelles d’un nombre incalculable de substantifs du dictionnaire, en capitales blanches aveuglantes. Les mots y dansent à différents rythmes, figurant par leur succession et leurs différentes formes une écriture chorégraphique. Cette expérience orchestrée par Luca Mattei, d’une intensité brutale, sature les sens, conduit à l’annihilation de la perception, de la compréhension, de l’individu, sans aucune subtilité.
Le public demeure passif, impuissant (même si la porte de sortie n’est pas loin), luttant pour trouver un sens à cet ensemble, percevant le vide sémiotique et la mort cognitive annoncée dans les intentions du metteur en scène. Les deux parties du spectacle – dont la première apparaît plutôt comme une préface qu’un premier chapitre – dialoguent avec étrangeté, pour former un ensemble dansé, humain et non-humain, dont les deux embaument la mort. La danseuse Gloria Dorliguzzo y aurait-elle un rôle de passeuse entre notre monde, des vivants et celui de la mort du langage et de la pensée ? On sort de cette expérience aux airs de rituel, brutalisé, survivant de ces sensations fortes sans nuances, sans trop savoir quoi faire de ce sentiment.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
The Third Reich
Conception Romeo Castellucci
Chorégraphie et Interprétation Gloria Dorliguzzo
Musique Scott Gibbons
Video Luca Mattei
Collaborations extérieures Giulia Colla, Alessandro CollaDurée 50 minutes
Actoral
Les 7 et 9 octobre
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