Dans L’Homme qui tua Mouammar Kadhafi, le collectif Superamas et un journaliste politique reviennent sur les conditions de la mort du dictateur libyen avec un espion de la DGSE. Une pièce sur la manipulation qui cherche à manipuler.
Depuis sa fondation en 1999, le collectif international Superamas – basé à Paris, il possède des antennes à Bruxelles et à Vienne, ainsi que des partenaires à travers toute l’Europe – s’attèle à la même mission : « éclairer la manière dont le ‘’spectacle’’ s’est immiscé dans chaque aspect de notre existence ». Ses membres avancent souvent masqués et anonymes. Ils explorent ainsi librement les mauvais genres (BIG 3 HAPPY/END, leur première création), ils font se rencontrer guerres napoléoniennes et grand reportage (EMPIRE Arts & Politics), relient par le documentaire les guerres d’hier à celles d’aujourd’hui (Vive l’armée !)… Dans le sillage de Guy Debord dont ils revendiquent ouvertement l’héritage, ils créent des performances dont la part spectaculaire, médiatisée, est le sujet principal. L’Homme qui tua Mouammar Kadhafi prolonge cette recherche en mettant en scène une figure qui échappe d’habitude par nature aux médias : l’espion.
Le cadre choisi par Superamas pour poursuivre sa critique de la « société du spectacle » est classique : l’entretien journalistique, type plateau télé. Par le choix de ses deux intervenants, le collectif s’empare du modèle, et cherche à en explorer les limites. Pour éviter tout risque de dévoiler un ressort central de la pièce, nous reprendrons la présentation qu’en fait le collectif sur le site du 11 à Avignon, où il va jouer pendant le festival : « un ancien officier de renseignement de la DGSE révèle à visage découvert ce qu’il sait des véritables causes de de la mort de Mouammar Kadhafi en octobre 2011. Interviewé en direct par le journaliste politique Alexis Poulain, avec la complicité du collectif artistique Superamas, son témoignage exceptionnel jette une lumière nouvelle sur l’un des plus grands scandales d’État de ce début de 21ème siècle ».
Sur une scène aménagée en plateau télé parfaitement réaliste, c’est en effet le journaliste nommé par le collectif qui introduit la pièce. Co-fondateur du média en ligne Le Monde Moderne pour lequel il a réalisé une enquête au long cours sur la mort de Mouammar Kadhafi, il joue son propre rôle dans L’Homme qui tua Mouammar Kadhafi en guidant son interlocuteur dans son récit détaillé des faits. La révolte populaire qui éclate en février 2011 en Libye, à la suite du mouvement tunisien, sa répression par Mouammar Kadhafi qui est alors au pouvoir depuis 41 ans, la naissance d’une insurrection armée conduite par le Conseil national de transition (CNT), l’intervention de la DGSE ou encore le rôle de la France de Sarkozy dans les événements… Tout y est. Similaire à celui des nombreux écrits journalistiques produits depuis 2011, le contenu de ce témoignage est sans grandes surprises, sans éléments qui ne soient connues depuis longtemps. Son statut aurait pu être plus troublant.
Spectacle ou « journalisme live » ? Telle est la question que Superamas souhaitait poser et laisser sans réponse en faisant appel à un vrai journaliste ainsi qu’à un invité anonyme. L’espace-temps dans lequel s’inscrit la discussion ne laisse toutefois aucune ambiguïté en la matière. Nous sommes au théâtre, et les procédés utilisés pour le faire oublier peinent à atteindre leur but, du moins auprès d’un public au fait du goût du collectif pour le jeu avec les conventions théâtrales et pour la mise à l’épreuve du spectateur, pour sa manipulation. Le parallèle entre théâtre et espionnage à l’endroit du « mentir vrai » – « pour qu’un mensonge prenne, il faut qu’il soit à 95 % vrai », dit l’espion – aurait mérité d’être davantage formulé et interrogé. La quête d’un trouble a hélas ici tendance à inhiber la pensée.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Homme qui tua Mouammar Kadhafi
Conception, écriture et mise en scène : Superamas
Avec : Alexis Poulin et Superamas
Regard extérieur : Diederik Peeters
Création décors et son : Superamas
Création Lumières : Henri-Emmanuel Doublier
Costumes : Sofie Durnez et Superamas
Production : Superamas
Production déléguée : Le Manège Scène nationale – Maubeuge
Coproducteur : Théâtre Jacques Tati Amiens
Soutiens : Montévidéo Marseille, La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – centre national des écritures du spectacle, Szene Salzburg, Tanzfabrik Berlin, L’Institut Français, Le réseau APAP – cofinancé par le programme Europe créative de l’Union européenne.
Superamas est subventionné par la DRAC Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France, le Département de la Somme et Amiens Métropole
Durée : 1h30
Festival OFF d’Avignon – Le 11 · Avignon
Du 7 au 29 juillet 2021 à 17h05. Relâche les 12, 19 et 26 juillet
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