Initié à Berlin par l’auteure et metteure en scène Monika Dobrowlanska, le projet de théâtre Pandora’s box explore la question de l’identité nationale et du populisme en Europe. Sans parvenir à faire autre chose que refléter la crise qui affecte l’Union européenne.
Lancée par la compagnie du Bredin de Laurent Vacher, l’invitation à découvrir Pandora’s box était prometteuse. Réunis par Monika Dobrowlanska, auteure et metteure en scène polonaise installée à Berlin, quatre artistes y présenteraient sous forme théâtrale « leur point de vue sur le populisme de tous les jours en Allemagne, en Hongrie, en France et en Pologne », lisait-on. Sur place, on apprend que le projet a mis près de trois ans à se concrétiser. Le temps de rassembler auteurs et metteurs en scène. Le temps, surtout, de trouver des partenaires financiers prêts à s’engager dans l’aventure. Chose difficile pour les artistes qui, comme la constructrice de Pandora’s box, travaillent en Allemagne de manière indépendante. Fixé à la célèbre Akadémie der Künster, ou « Académie des Arts », le rendez-vous des 15 et 16 mars 2019 était donc plein d’attentes. D’espérances, hélas vite déçues.
Présenté comme « une pièce commune, composée de trois de trois textes courts », Pandora’s box se révèle être la juxtaposition de trois formes d’une trentaine de minutes chacune : Autre chose du Hongrois Ákos Németh, You cannot see, what you cannot see de Monika Dobrowlanska et Mes amis (Safe european home) du Français Philippe Malone, mis en scène par son compatriote Laurent Vacher. L’hybridité du projet aurait pu être sa force ; faute d’être travaillée, questionnée, elle en révèle toutes les faiblesses. Les zones d’ombre. Bref, visiblement bricolé au dernier moment, le prologue de la pièce laisse déjà entrevoir un manque de dialogue entre les différents participants. Tous vêtus d’une parka beige, les cinq comédiens de la Box y évoquent dans diverses langues le mythe qui donne son titre au spectacle. Le rapport entre l’Europe, son populisme croissant et la créature éponyme de terre et d’eau, dotée par Vulcain de tous les dons, est obscur. Il le restera.
Avec Autre chose, le malaise succède au flou. Si Monika Dobrowlanska et Laurent Vacher, dont la compagnie est co-productrice du projet, ont eu les moyens de travailler avec des comédiens qu’ils ont choisis, Ákos Németh a dû faire avec les deux actrices qui lui ont été proposées. Soient l’Allemande Mirja Henking et la Polonaise Barbara Prokopowicz, qui portent aussi la pièce suivante. Chose que l’initiatrice de Pandora’s box expliquait lors d’une rencontre avec le public par l’absence de soutien des institutions et théâtres hongrois. Un problème qui n’est abordé ni dans l’introduction, ni dans aucune des parties du spectacle, écrites puis mises en scène chacune de leur côté. Et rassemblées seulement deux jours avant les dates berlinoises.
Au lieu d’offrir, comme on aurait pu l’espérer, des espaces de justice sociale inexistants dans la réalité, Pandora’s box reproduit les inégalités qui créent des tensions entre les pays de l’Union européenne. Cela malgré la belle volonté des artistes impliqués, qui ont manqué de l’espace, et sans doute du récit cadre nécessaires à l’invention d’une forme cohérente et singulière. Malgré d’évidentes qualités d’écriture, Ákos Németh déploie ainsi une tentative de conversation entre une étrange agente immobilière et une cliente absurde au point de ne présenter aucun rapport évident avec le sujet défini par Monika Dobrowlanska. On subodore la métaphore, sans pouvoir en deviner le sens. Pour percevoir quelque chose de la volonté initiale d’Ákos Németh d’« explorer la conscience de soi des Hongrois d’aujourd’hui, qui est fortement influencée par la nostalgie de la grandeur et de la supériorité », il faut faire preuve d’une folle inventivité.
You cannot see, what you cannot see expose au contraire de façon on ne peut plus claire l’intention de son auteure et metteure en scène. Son désir de formuler une inquiétude quant à l’islamophobie qui gagne autant l’Allemagne que la Pologne. Dialogue entre une Allemande et une Polonaise aussi caricaturales l’une que l’autre, la pièce ne s’élève guère au-delà de sa critique centrale. La proposition de Philippe Malone et Laurent Vacher, complices de longue date, est de loin la plus aboutie. À travers une discussion entre trois amis et collègues d’entreprise (Lia Khizioua, Jonas Marmy et Alexandre Pallu), l’onde de choc provoquée en France par les attentats de 2015 y est abordée sans détours. Avec une violence qui aurait toutefois gagné à être plus ambiguë.Plus nuancée. « Que reste-t-il de l’espérance ? » – l’espérance est la seule chose qui reste au fond de la boite ouverte dans le mythe par Pandora, malgré l’interdiction émise par Héphaïstos. À cette question lancée par un spectateur lors de la rencontre du 16 mars, on aurait aimé pouvoir répondre que c’est le fait de travailler ensemble à un même objet. D’opposer à la tendance actuelle au repli national une énergie collective. Ce que fait très bien Falk Richter par exemple, à qui le Théâtre National de Strasbourg a consacré le dernier numéro de sa belle revue Parages. Les défauts d’écoute, d’entraide dont témoigne Pandora’s box rendent impossible cette consolation. L’absence des artistes biélorusses prévus au départ dans le projet n’a guère arrangé les choses. On imagine en effet que nourrie par davantage d’artistes, de nationalités différentes, Pandora’s box aurait plus facilement pu sortir des clichés dont il est plein. Reste à espérer que la déception, patente, des artistes invités soit le moteur de croisements plus réussis.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Pandora’s box
Kulturfabrik Fürstenwalde et Schloss Neuhardenberg (Brandenburg – Allemagne)
Du 18 au 22 mars 2019
Festival Passages (Metz)
Du 19 au 21 mai 2019
Théâtre UBSK Forum – Frankfort (Allemagne)
Du 11 au 14 juin 2019
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