Avant le Festival Paris l’été, Jean-François Sivadier a repris à l’Opéra Comédie de Montpellier, dans le cadre du Printemps des Comédiens, son excellent Italienne scène et orchestre créé il y a plus de vingt ans. Une folle et passionnante immersion dans le monde de l’opéra.
Italienne scène avec orchestre est une déclaration d’amour que Jean-François Sivadier renouvelle régulièrement. Si bien que, créée pour la première fois en 1996 à l’Opéra-Comique à Paris, cette fausse répétition de La Traviata de Verdi est devenue un des fils rouges de l’œuvre de l’auteur, metteur en scène en scène de théâtre et d’opéra et comédien. Même si assez peu de personnes l’ont finalement vue, chaque représentation n’accueillant qu’un nombre réduit de spectateurs. Car c’est dans les coulisses de l’opéra que nous invite cette pièce qui confirme le dicton selon lequel qui aime bien châtie bien. Ce que Jean-François Sivadier fait ici une baguette à la main, tandis que son acteurs fétiche, Nicolas Bouchaud, endosse avec bonheur le rôle du metteur en scène.
C’est d’abord sur scène, sur un gradin mobile, que l’on nous invite à nous installer. Devant un panneau de tulle de la largeur de la scène, les six comédiens nous accueillent, l’air pris au dépourvu. Dépassé par les événements. Son habituelle expression de grand rêveur teintée d’inquiétude, Nicolas Bouchaud alias Antoine Markowsky n’a pas besoin de dire que La Traviata dont il entame l’italienne n’est encore qu’une ébauche mal dégrossie : on le sent, tout comme on devine que la mise en abyme écrite et mise en scène par Jean-François Sivadier sera une succession de catastrophes. Un champ de bataille où s’affrontent les deux arts pratiqués par l’artiste, et où s’écharpent tous les personnages du spectacle.
Si Italienne scène et orchestre propose une expérience scénique unique – après le plateau, c’est en effet dans la fosse, derrière des pupitres et en compagnie de Jean-François Sivadier, que se retrouve le public –, son intérêt est aussi ailleurs. Loin de céder à la séduction facile qu’aurait pu susciter le dispositif, l’ensemble de l’équipe du spectacle fait de ce dernier la base d’une passionnante et singulière réflexion sur l’art. S’ils offrent une immersion dans le monde de l’opéra, les artistes de Italienne scène et orchestre portent aussi une écriture complexe, avec un jeu qui l’est tout autant. Entre comédie et théâtre de la pensée, cette création offre à chacun un vaste espace de paradoxes à explorer. Où la proximité entre acteurs et spectateurs est à la fois terrain d’amusement et terrain miné.
Traités comme choristes puis comme musiciens, nous, spectateurs, sommes pris à parti par des caricatures qui s’effritent peu à peu et laissent toutes entrevoir leur complexité. Irrésistible en metteur en scène fumeux et intello, mais incapable de s’imposer, Nicolas Bouchaud révèle une utopie d’opéra populaire – « vous devez jouer pour celui qui ne sait rien, qui vient à l’opéra pour la première fois », dit-il par exemple – qui humanise son personnage. Jean-François Sivadier est un chef d’orchestre dont l’autorité cache une bonhommie délicieuse, portée sur la blague. Dans la peau d’une soliste écartelée entre chant et pensée, Marie Cariès glisse vers une interprétation de plus en plus sensuelle. Apaisée. Derrière sa diva hautaine, Nadia Vonderheyden révèle une femme ouverte aux voix des autres, et dans les longs monologues de son ténor réfractaire à l’autorité, Vincent Guédon laisse poindre une belle hypersensibilité. Souvent prolifique, leur parole, à tous, contribue beaucoup à faire de Italienne scène et orchestre un très subtil appel à se décentrer. À regarder le monde à travers toutes sortes de lorgnettes, et à en inventer de nouvelles.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Italienne scène et orchestre
Texte et mise en scène : Jean-François Sivadier
Avec : Nicolas Bouchaud, Marie Cariès, Charlotte Clamens, Vincent Guédon, Jean-François Sivadier, Nadia Vonderheyden
Collaboration artistique : Véronique Timsit
Son : Jean-Louis Imbert
Lumière : Jean-Jacques Beaudouin
Régisseur général : Laurent Lecoq
Photo : Alain DugasProduction de la création : Théâtre National de Bretagne – Rennes et Compagnie Italienne avec Orchestre | Avec le soutien de l’Adami | Production de la reprise : MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis et Compagnie Italienne avec Orchestre | Coproduction : Festival Printemps des Comédiens – Montpellier, Festival Paris l’été | Avec le soutien du Ministère de la culture et de la communication | Les textes « Italienne avec Orchestre » et « Italienne scène et orchestre » sont publiés aux Éditions Les Solitaires Intempestifs
Durée: 3h30.MC93 – Bobigny – Festival Paris l’été
Du 9 au 28 juillet 201
Belle critique !
Par contre c’est Charlotte Clamens qui interprète la diva, Nadia Vonderheyden joue l’assistante du metteur en scène.
Cordialement