La pĂ©niche La Pop se dĂ©confine avec la crĂ©ation de Violaine Lochu, Orpheus Collective. Une installation sonore qui invite les visiteurs Ă sâimmerger dans un dispositif construit Ă partir de voix dâenfants. Sur les traces dâOrphĂ©e, lâartiste traverse lâĂ©poque, ses remous, pour poser la question du « monde dâaprĂšs ». Par les sens autant que par la pensĂ©e, elle nous embarque.
Le printemps de La Pop sâĂ©tait interrompu le 12 mars avec la crĂ©ation des Chemins du dĂ©sir, transposition scĂ©nique par Sabine Zovighian dâune fiction sonore de Claire Richard consacrĂ©e Ă lâimaginaire Ă©rotique. Le spectacle musical Arianna conçu par lâauteur Milan Otal, oĂč lâhistoire de lâopĂ©ra de Monterverdi cĂŽtoie celle de la conquĂȘte, a dĂ» ĂȘtre annulĂ©, de mĂȘme que la « nĂ©buleuse du son » imaginĂ©e par Marion PĂ©lissier, que lâon pourra dĂ©couvrir en automne 2020. Si la pĂ©niche, qui se dĂ©finit comme un « incubateur artistique et citoyen, un lieu de rĂ©sidence, de recherche et dâexpĂ©rimentation » centrĂ© sur lâexpĂ©rimentation sonore, a pu ouvrir sa cale au public Ă partir du 6 juin 2020, câest que la proposition de Violaine Lochu sây prĂȘte particuliĂšrement. Créé pour La Pop, son Orpheus Collective se traverse en solitaire. PeuplĂ© de voix dâenfants, il entraĂźne le visiteur dans une rĂȘverie-rĂ©flexion sur lâavenir de notre espĂšce. Paradis ou apocalyspe ?
Descente en enfance
Ă lâentrĂ©e de la pĂ©niche, les passagers masquĂ©s â six au maximum â se voient remettre par un Ă©quipage qui respecte les mĂȘmes rĂšgles sanitaires le matĂ©riel nĂ©cessaire pour sa traversĂ©e : un casque, et le livret de lâexposition qui contient une conversation entre Violaine Lochu et la philosophe Vinciane Despret. Câest parti pour 25 minutes dâimmersion dans un paysage sonore et visuel composĂ© par lâartiste en fonction des spĂ©cificitĂ©s du lieu. La traversĂ©e est dâabord physique : pour arriver jusquâaux siĂšges oĂč des prises jack nous permettent de brancher nos Ă©couteurs, on arpente un couloir rempli dâun chĆur vocal et de lumiĂšres fluos. On devine des mots, mais ils sont recouverts par toutes sortes de sons. Des cris, des fredonnements, des chocs qui nous mĂšnent dâemblĂ©e loin des stĂ©rĂ©otypes sur lâenfance. Dans Orpheus Collective, jeunesse nâest pas synonyme dâinnocence ni de puĂ©rilitĂ©. Sa rĂ©alitĂ© est complexe. Son regard sur lâavenir est intranquille, inquiet.
« Orpheus Collective » de Violaine Lochu photo Nicolas Giraud
Avec la seconde piĂšce du diptyque, cette angoisse sâarticule. Des mots, des phrases Ă©mergent dâun environnement sonore accidentĂ© pour dĂ©crire toutes sortes de futurs possibles. Rarement enchanteurs. Lâapocalypse est dans bien des bouches. Il est souvent reliĂ© Ă lâidĂ©e dâune catastrophe Ă©cologique imminente. « En travaillant avec des adultes et enfants dans le cadre de projets prĂ©cĂ©dents â MĂ©moire Palace et Lâoffice des prĂ©sages â, jâavais Ă©tĂ© sensible Ă leur perception assez sombre de lâavenir, qui se traduit par une rhĂ©torique de la fin du monde empruntant Ă des sources diverses : la parole des adultes, contes, films hollywoodiens⊠La proposition de La Pop mâa renvoyĂ©e Ă ces voix. Elles me semblaient appropriĂ©es Ă une traversĂ©e qui se situerait entre la mythologie grecque et lâĂ©poque actuelle ». Composites, paradoxaux, les enfants prophĂštes dâOrpheus Collective nous invitent Ă dâinhabituelles associations de sons et de pensĂ©es.
Poésie des prophéties
Dans lâĂ©trange espace-temps de Violaine Lochu, OrphĂ©e et la jeune militante Ă©cologiste suĂ©doise Greta Thunberg ne font quâun. Contre toutes les sĂ©parations, hostile Ă toutes les hiĂ©rarchies, lâartiste sonore dĂ©cloisonne ainsi les rĂ©cits. Elle donne Ă entendre la voix de lâenfance comme elle a auparavant fait entendre le babil de bĂ©bĂ©s, le chant dâoiseaux ou la parole dâune voyante : comme lâexpression dâune minoritĂ©. GuidĂ©s par le protocole mis en place par lâartiste â elle explique dans le livret de lâexposition avoir commencĂ© par des questions simples, du type « Dans le futur, Ă quoi ressembleront les transports, les vĂȘtements, les habitations, les aliments ? », avant de leur proposer dâimaginer un monde inondĂ© Ă cause du rĂ©chauffement climatique â, les jeunes interviewĂ©s livrent un regard souvent dĂ©considĂ©rĂ©, voire ignorĂ©. Leurs rĂ©ponses ne sont pas pour autant traitĂ©es dâune maniĂšre documentaire : mĂ©langĂ©es aux sons que Violaine Lochu a demandĂ© Ă chacun dâenregistrer selon une mĂ©thode prĂ©cise, souvent grĂ©sillantes, elles renseignent sur une vision du monde tout en faisant poĂ©sie.
Si dans Orpheus Collective, Violaine Lochu ne met en jeu ni sa propre voix ni son corps â son approche de la voix et de la parole prend des formes variĂ©es, souvent performatives â, câest bien elle qui conduit la traversĂ©e. RĂ©alisĂ©e Ă partir des matĂ©riaux sonores collectĂ©s pendant le confinement, sa composition traduit une quĂȘte de libertĂ© et un goĂ»t prononcĂ© pour les frottements les plus inattendus. Non seulement entre humains, mais aussi entre vivants et objets, entre prĂ©sent et absent. Son entretien avec Vinciane Despret le confirme : si elle sâadresse Ă la philosophe, câest non pas parce quâelle est spĂ©cialiste du sujet â elle a Ă©crit notamment sur les rapports entre les morts et les vivants, et sur ceux quâentretiennent humains et animaux â, mais parce quâil lui est Ă©tranger, et quâelle partage avec elle un rapport aventureux Ă la parole et Ă la voix. Ainsi quâune curiositĂ©, une Ă©coute de lâAutre qui fait la beautĂ© de sa traversĂ©e.
AnaĂŻs Heluin – www.sceneweb.fr
Orpheus Collective, de Violaine Lochu.
Du 6 juin au 5 juillet 2020, du mercredi au dimanche de 13h Ă 19h Ă La Pop
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