Avec son seul en scène Une goutte d’eau dans un nuage, au programme du ParisOFFestival organisé par le Théâtre 14, Éloïse Mercier nous emmène loin avec presque rien. Sa voix profonde, sensuelle, ses mots délicats et quelques accessoires miniatures nous entraînent droit à Saïgon. Entre béton et mousson.
S’il avait pu se jouer, comme prévu, au Théâtre Transversal dans le cadre du Festival Off d’Avignon, Une goutte d’eau dans un nuage d’Éloïse Mercier n’aurait sans doute pas été tout à fait celle que l’on a découvert au Théâtre 14 lors de son ParisOFFestival. Au lieu de sa dernière résidence en avril à Châteauvallon, scène nationale, où sa pièce devait ensuite être créée en mai, l’auteure, metteure en scène et comédienne a poursuivi le travail à domicile. Avec Vincent Béranger, qui signe la conception sonore et assure la régie du spectacle, elle a organisé chez elle une résidence miniature. Format qui va bien à sa compagnie créée en 2019, la Cie Microscopique qui, lit-on sur son site internet, « s’attache aux détails, à l’infiniment petit, à tout ce qui nous échappe, dans un soupir, dans un regard ou dans un choix ». Pendant le confinement, propice à cette attention au tout petit, Une goutte d’eau dans un nuage a ainsi bien pu grandir, jusqu’à la belle avant-première présentée au Théâtre 14. Dans ce lieu dont Mathieu Touzé et Édouard Chapot viennent de prendre la direction, Éloïse Mercier et son équipent déploient tout leur art de voyager autour de leur salon.
Dans Cadres de vie, sa première création, Éloïse Mercier racontait avec une poignée Playmobils l’histoire de deux cadres dynamiques, vue du haut d’un grand Building de Business. Dans sa nouvelle pièce, elle délaisse les jouets d’enfants pour le sobre et élégant décor d’un intérieur dont le classicisme est perturbé par de petits accessoires à la modernité tape-à-l’œil. Des néons colorés en forme de bouche, de flamand rose ou de femme font entrer dans le petit écrin un morceau de mégalopole. Tandis que, vissé sur un pick up, un scooter rose de la taille d’un poing suggère l’alliance du nouveau et de l’ancien, leur mélange surréaliste mais harmonieux. Et au milieu de ce tableau, un micro grâce auquel la comédienne nous embarque pour Saïgon. Pour son Saïgon, vu encore une fois depuis une grande tour de business, où une jeune femme française qui lui ressemble fort – formée au théâtre, Éloïse Mercier a intégré l’ESSEC après un Master de philosophie – fait son arrivée pour travailler dans au 32ème étage d’un immeuble, pour une entreprise dont nous ne saurons presque rien.
Dès le récit du voyage qui amène la protagoniste de la pièce au Vietnam, on pense à Marguerite Duras. La douceur, la sensualité et la profondeur de la voix d’Eloïse Mercier a une grâce proche de celle de l’auteure du Barrage contre le Pacifique. Bien droite derrière son micro, qu’elle ne quittera que très rarement pour manipuler l’un de ses néons ou son scooter-pick up, l’artiste évite pourtant le mimétisme. Si sa lenteur, sa précision pour décrire l’arrivée de sa voyageuse dans la ville aux deux noms – « Hô-Chi-Minh-City ou Saïgon, comme les deux faces d’un même visage » – font penser à celles de Duras elle-même dans le film India Song, c’est pour lui rendre hommage et non pour l’imiter. Ce que confirme la diffusion d’un extrait de l’émission Apostrophe où, par contraste avec le timbre d’Éloïse Mercier, celui de Duras apparaît plein de rocailles, de cavernes. L’artiste d’aujourd’hui et celle d’hier entretiennent un rapport similaire aux micro gouttes d’eau qui saturent l’air du Saïgon décrit dans la pièce : bien que différentes, elles s’assemblent. Enveloppées par la voix de la comédienne, elles forment une cellule complexe, où cohabitent tous les visages de la ville, tous ses paradoxes.
Organisé en courts chapitres thématiques – « Les Bêtes indomptables », « Une bouteille à la mer » ou encore « Tout ce qui se manque à Saïgon » se respire, Une goutte d’eau dans un nuage est un récit initiatique dont la musicalité porte le sens. Tantôt douce, tantôt chargée d’électricité, la voix d’Éloïse et le subtil montage sonore qu’elle a conçu avec Vincent Bérenger à partir de sons récoltés sur place disent les transformations de l’héroïne au contact de Saïgon. Ils donnent à imaginer ses odeurs, ses couleurs. Ils laissent l’imaginaire s’aventurer dans des nuits passées avec un certain B, dont l’érotisme évoque L’Amant de Marguerite Duras. Pour la Cie Microscopique, la vie, la liberté se logent dans les détails. Elles prospèrent dans toutes les ombres, y compris celle des affaire et de leurs buildings.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Une goutte d’eau dans un nuage
Texte, mise en scène et interprétation : Éloïse Mercier
Conception sonore : Vincent Bérenger et Éloïse Mercier
Voix vietnamienne : Ha Nguyen T.H
Arrangements et mixage : Charlie Maurin
Poésie vietnamienne : Phe X. Bach
Texte du spectacle paru aux éditions les Cygnes
Production : La Compagnie Microscopique
Coproduction : Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Coréalisation : Théâtre Transversal
Avec le soutien de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, du Département du Var et de la SACD
Durée : 1h10
Off 2021
Théâtre Transversal
du 7 au 31 juillet 2021- relâche les 13, 20, 27 juillet à 19h15
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