À partir du dernier chant de l’Iliade et en collaboration avec l’Ircam, Daniel Jeanneteau imagine un spectacle-performance dont l’exigence sonore et plastique a tendance à prendre le dessus sur le sens et l’émotion.
Lorsqu’on pénètre sur les plateaux 1 et 2 du Théâtre de Gennevilliers, le danseur Thibault Lac qu’on a aperçoit au fond de la salle semble depuis longtemps figé dans le silence et l’immobilité. Chacun cherche sa place dans la pénombre. Frôlements. La vue s’accommode et, bientôt, on voit l’artiste sortir de sa paralysie. Lentement, il rampe. Et ce faisant, il réduit l’écart qui nous sépare de lui tandis que, surgie d’on ne sait trop où, une voix off commence à égrener la description de combats sanglants.
On reconnaît le dernier chant de l’Iliade, mais simplifié à l’extrême. Tirés de leur contexte, anonymes, les foies percés, les oreilles déchirées ne sont plus tout à fait ceux d’Homère. Avec les compositeurs Chia Hui Chen et Stanislav Makovsky de l’Ircam, le metteur en scène et directeur du Théâtre de Gennevilliers en fait dans Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade) des éléments parmi d’autres d’une performance sur la violence humaine. Et sur la beauté du monde.
Au milieu d’un dispositif sonore complexe, mais presque entièrement dissimulé par la subtile création lumière de Yves Godin, Thibault Lac poursuit sa marche. Toujours muet, il se mêle finalement à nous. Inexpressif, il déplace quelques personnes. Et, comme par hasard, tombe sur le comédien Thomas Cabel, un des jeunes membres fondateurs du collectif Mind the Gap, avec qui il entame un corps-à-corps tantôt lent, tantôt précipité. Jamais explicite, leur rapport aux personnages de l’Iliade interroge. Incarnent-ils Achille et Hector, ou des avatars contemporains des deux héros de la guerre de Troie ? Peut-être n’ont-ils en fait rien à voir avec l’œuvre d’Homère ?
Avec la litanie entêtante du texte, la proximité avec les artistes et son mélange de violence et de sensualité, cette première partie de Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade) aurait pu troubler. Daniel Jeanneteau semble pourtant vouloir éviter de s’engager dans cette direction, sans que ce parti-pris soit vraiment affirmé. Comme amoindrie par les nappes sonores qui emplissent la salle et par la brume qui les entoure, la présence des artistes est crépusculaire sans être angoissante ni susciter la fascination. Sans porter non plus de lecture particulièrement originale de l’œuvre d’Homère, aussi présente ces temps-ci sur nos scènes, avec le travail de Pauline Bayle et celui Luca Giacomoni interprété par des détenus, créé la saison dernière au Théâtre Paris-Villette et repris cette saison au même endroit.
Dans la seconde partie du spectacle, la scène de rencontre entre Achille et Priam, le père éploré d’Hector incarné par Axel Bogousslavsky, se déroule dans une même atmosphère ouatée. Le second lave le premier, qui le nourrit ensuite. La douceur du tableau contraste avec la dureté du premier. Un âne fait son entrée, traverse la salle et gratte le sol. Des dernières pages de l’Illiade, qui font selon Daniel Jeanneteau partie des « plus étonnantes de la littérature mondiale », ne reste ainsi qu’une ligne épurée. Belle, mais dont l’intérêt demeure avant tout expérimental. Prolongement d’un premier travail de commande mené aux Subsistances à Lyon dans le cadre de la Biennale de la danse en 2014, Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade) a encore l’allure des préambules. Des lendemains qui n’attendent sans doute pas grand-chose pour chanter.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade)
D’après la traduction d’Homère par Frédéric Mugler, éditions Babel – actes Sud
Conception, mise en scène et scénographie : Daniel Jeanneteau
Musique : Chia Hui Chen et Stanislav Makovskiy
Lumière : Yves Godin
Réalisation informatique musicale Ircam : Augustin Muller
Ingénieur du son Ircam : Clément Cerles
Collaboration artistique : Thibault LacAvec Thibault Lac, Axel Bogousslavsky, Thomas Cabel et la voix de Laurent Poitrenaux
Coproduction Ircam-Centre Pompidou, T2G – Théâtre de Gennevilliers.
avec le soutien du réseau Interfaces, subventionné par le programme Europe Créative de l’Union européenne.Une première version de ce spectacle a été créée en septembre 2014 aux Subsistances à Lyon, dans le cadre de la Biennale de la danse
Durée: 1hT2G – Théâtre de Gennevilliers
Du 19 au 23 juin 2018
mardi, mercredi, jeudi à 20h,
vendredi à 19h, samedi à 18h
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