Le metteur en scène François Rancillac va devoir quitter e Théâtre de l’Aquarium l’été prochain, c’est la Direction Générale de la Création l’en a informé. Le lieu devrait devenir un simple lieu de «fabrique» ou de résidence de compagnies. L’équipe fait part de ses inquiétudes pour l’avenir et demande que le lieu reste un théâtre à part entière comme cela est le cas depuis 43 ans.
Vous pouvez signer la pétition ici
Voici une lettre écrite par l’équipe au Ministère
Bien cher Ministère,
On voulait te dire combien on est content.
Car voilà une bien belle saison qui s’achève : le public a été de tous nos rendez-vous (on a même réussi à en refuser pour le
Godot !), et les gens n’arrêtent pas de nous féliciter pour la qualité de la programmation (créations-maison et compagnies invitées) et notre convivialité : tu imagines combien cela fait plaisir ! Le mois de mai fût à la fête avec notre « Tous en scène(!) » : 87 amateurs et 102 apprentis comédiens des Conservatoires parisiens qui ont réinventé à leur manière notre saison – sans parler des 142 autres amateurs qui ont suivi nos ateliers durant toute l’année, et des 1177 collégiens et lycéens qui ont travaillé et présenté à l’Aquarium leurs projets inspirés de nos spectacles (qu’ils avaient bien sûr aussi vus en amont).
Aujourd’hui, l’été pointe son nez, et la Cartoucherie est décidément le site idéal pour le « Festival des Écoles du Théâtre Public » : si tu pouvais voir tous ces jeunes comédiens qui brûlent déjà les planches, tu comprendrais qu’on a bien fait de miser sur cette génération qui est déjà le théâtre de demain !
On est vraiment content.
Après 6 ans d’efforts, notre petite équipe a réussi à remettre ce magnifique théâtre sur ses deux pieds : d’une part la création in situ (avec tous nos artistes associés, qui œuvrent au quotidien durant au moins trois ans dans la maison), et d’autre part la transmission auprès des publics les plus divers (sais-tu qu’on a joué aussi des spectacles légers dans les salons, les cafés, les bibliothèques, les classes, etc. – histoire d’aller au devant de ceux qui ne vont jamais au théâtre ?). Notre joie, ça a été de trouver au fur et à mesure de vrais partenaires pour nous aider à ces « missions de service public du spectacle vivant » (c’est comme cela que tu les appelles, n’est-ce pas ?) : la Région Ile-de-France, la Drac, les Rectorats, la Ville de Paris, la Mairie du 12ème, etc. D’ailleurs, savais-tu que grâce à RFI et à l’Association Beaumarchais/SACD, on accueille même chaque année un dramaturge africain pour écrire dans notre petit studio ? Et toi qui aime tant les croisements entre les arts, tu devrais venir un
dimanche à nos brunch-concerts du Quatuor à cordes Leonis et de l’Ensemble Aleph : c’est de toute beauté !
On est content.
Et un peu fiers, faut-il l’avouer ? d’avoir mis en œuvre exactement le projet pour lequel tu nous avais choisis, il y a six ans.
Pour être honnête, on en fait plus qu’annoncé au départ – tu nous l’a d’ailleurs gentiment fait remarquer l’autre fois : « Attention, vous n’êtes pas dans un CDN ! ». On n’a pas bien compris si c’était de l’humour… Au fait, as-tu eu le temps de lire notre projet pour les trois prochaines années, comme promis ? Tu ne nous as fait encore aucun retour… On y a prévu entre autre des créations qui vont parler de laïcité, d’altérité, de démocratie, et on va encore plus développer le travail avec les jeunes sur ces questions de société (on en a tellement besoin, n’est-ce pas ? Toi-même en parlais avec tant d’émotion dans la manif de janvier, tu te souviens ?). Et grâce au Théâtre de la Ville, on va pouvoir enfin accueillir des spectacles « jeune public » à la belle saison : les enfants pourront s’ébattre à tue-tête sur la pelouse, en sortant du théâtre !
Au fait, cher Ministère, on n’a pas bien compris pourquoi tu as dis l’autre jour à François que notre bilan était formidable, qu’il n’y avait rien à dire, sauf qu’on n’aurait pas trouvé « le bon modèle économique » pour l’Aquarium : tu veux dire quoi ? Tu ne nous en veux quand même pas si on a choisi de mettre le peu qui nous reste de « marge artistique » (une fois payés les frais fixes) dans la programmation des compagnies ? Mais c’est juste histoire de les accueillir un tant soit peu dignement (déjà qu’elles jouent chez nous à la recette…) ! Du coup, c’est vrai, François n’a plus un euro pour ses propres productions, et il est obligé de revenir chaque fois dans ton bureau pour te solliciter : mais est-ce notre faute si tu ne veux pas aider l’Aquarium à
avoir un minimum pour l’artistique ?
Du coup, François a été « remercié » et devrait nous quitter à la fin de la saison prochaine… Sans autre explication que cette histoire de « modèle économique » ?…
On était content…
Et là, on ne comprend pas.
En bons petits soldats du service public, on défend hardiment la jeune création et l’écriture contemporaine (cf notre « émergente » et si prometteuse Aurélie Van Den Daele, associée à l’Aquarium durant trois ans), on offre aux artistes l’espace/temps pour chercher, pour construire (tu as suivi le projet d’exploration du Bois de Vincennes par la si singulière Revue Eclair – projet d’ailleurs prévu en 2017 et qui sera donc avorté si tout doit s’arrêter avant ?) ; on invite quantité de compagnies à jouer, à répéter chez nous ; on invente sans arrêt des projets qui permettent à tous l’accès à la culture, en associant volontairement les plaisirs du spectacle et la pratique au plateau ; on fait le pari d’un théâtre qui questionne, qui fait directement écho à ce qui agite notre société tellement malade d’elle-même, ce qui permet de retisser un peu de cohésion sociale entre les gens, entre les âges, entre les cultures. Et on nous dit stop ?
Es-tu vraiment content de cela, cher Ministère ? Est-ce vraiment ton souhait de briser net ce projet en plein essor, cet Aquarium renaissant – comme tous ces élus indignes de leurs fonctions républicaines qui cassent tant de théâtres, de festivals au nom de la « crise » et surtout pour servir les pires démagogies ? Est-ce à toi de renier les théâtres de « service public» dont tu devrais au contraire être le protecteur et le promoteur ?
Et d’ailleurs que souhaites-tu au fond, pour l’avenir de l’Aquarium si ce ne doit plus être un vrai théâtre, comme tu le laisses entendre : une « fabrique » ? Une salle de répétitions ? Est-ce toute la Cartoucherie qui serait aussi visée, à moyen terme ? Et tu crois que cela peut nous réjouir ?
Et vous, êtes-vous contents de cela, chers spectateurs ?
Le Théâtre de l’Aquarium
Paris, le 25 juin 2015
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