Au Théâtre des Abbesses, le chorégraphe et metteur en scène dilue la galerie de portraits coloniaux d’Eric Vuillard dans une adaptation scénique aussi touchante que maladroite.
D’une manière ou d’une autre, par la danse ou par le théâtre, Faustin Linyekula en revient toujours à sa terre natale, le Congo. Pas plus tard que l’été dernier, à l’occasion du 73e Festival d’Avignon, le metteur en scène et chorégraphe s’était inscrit, avec brio et émotion, dans les pas du Belge Milo Rau pour poursuivre son Histoire(s) du théâtre. Avec 1974, son année de naissance, comme point d’ancrage, il avait sorti des limbes le Ballet National du Zaïre et invité sur scène trois de ses membres dont le dernier spectacle remontait à plus de 35 ans. A l’image de cette ultime création, l’artiste s’est longtemps concentré sur l’Afrique post-indépendance afin d’éviter d’aborder la période coloniale, « de crainte, dit-il, de paraître utiliser ces pages de l’histoire pour justifier l’incapacité des Africains à gérer leurs pays aujourd’hui. » Une précaution qui a volé en éclats lors de sa rencontre avec l’écriture d’Eric Vuillard.
Dans Congo, paru en 2012, l’écrivain revient sur les débuts de la colonisation du pays par le roi des Belges, Leopold II, en quête d’un hochet territorial sur lequel il pourrait, lui et lui seul, régner. Très court, cet ouvrage n’est ni un roman, ni une somme historiographique, mais plutôt un récit où se juxtaposent les portraits d’acteurs de l’époque, qu’ils soient participants à la Conférence de Berlin – tels l’explorateur Henry Morton Stanley ou les diplomates Alphonse Chodron de Courcel et Edward Malet – ou administrateurs territoriaux – comme Charles Lemaire et Léon Fiévez. A travers eux, c’est la transformation de tout un territoire, devenu un pays artificiel, qui se fait jour, avec son lot de calculs politiques, d’actes machiavéliques et de cruautés plus ou moins dissimulées.
Pour adapter ce travail, devenu l’un de ses livres de chevet, Faustin Linyekula a, logiquement eu égard à son parcours, fait le pari de la confluence des arts. Tous trois originaires du Congo, Pasco Losanganya, Moanda Daddy Kamono et le metteur en scène lui-même se partagent les rôles : à la première, les chants d’inspiration Mongo ; au second, l’expression des mots ; et au dernier, celle du corps, influencée par le récit ou par ces sons que l’équipe est allée directement capter sur le terrain. Malgré la belle complicité qui unit les trois artistes, et l’histoire qui les cimente, leur proposition se révèle trop hétérogène, et pauvre en idées, pour convaincre. Parmi leurs trois partitions, assemblées dans une scénographie élégamment dépouillée, seule la voix d’or de Pasco Losanganya se détache et offre quelques moments d’émotion.
Quand Faustin Linyekula s’enferme dans une gestuelle qui a plus à voir avec la pantomime qu’avec une réelle composition chorégraphique, Moanda Daddy Kamono peine à trouver la clef pour s’extraire du simple récit historique. Il échoue à restituer l’originalité, et la force, de l’œuvre d’Eric Vuillard, pourtant pavée de saillies sur lesquelles s’appuyer. Alors, le comédien force, cabotine et consomme l’attention des spectateurs, mise à rude épreuve par ce flot textuel qui ne parvient, jamais, à prendre ni corps, ni l’allure d’un conte, aussi terrible serait-il. La faute, sans doute, à un travail d’adaptation trop léger qui reprend près des trois-quarts du texte originel, alors qu’il aurait gagné à être resserré. De cette analyse, la fin apporte la preuve. Porté par le récit atroce des « mains coupées », le spectacle décolle dans ses dernières encablures et offre un final avec toute la puissance qu’il n’avait pas su trouver 1h40 durant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Congo
Conception et mise en scène Faustin Linyekula
Texte Éric Vuillard (éditions Actes Sud)
Avec Moanda Daddy Kamono, Faustin Linyekula, Pasco Losanganya
Musique Franck Moka, Faustin Linyekula
Lumières Koceila Aouabed
Costumes Ignace YengaProduction Studios Kabako / Virginie Dupray
Coproduction Ruhrtriennale ; Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) ; HAU Hebbel am Ufer (Berlin) ; Théâtre Vidy-Lausanne ; manège – Scène Nationale – Reims ; Holland Festival (Amsterdam) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien du CDN de Normandie-Rouen, du CND Centre national de la danse (Pantin) et du KVS (Bruxelles)
Avec le soutien de l’Adami
Spectacle créé le 24 mai 2019 dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles)Durée : 1h50
Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
du 20 au 23 novembre 2019
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Tout à fait d’accord avec cette analyse. J’ai lu le Vuillard quand il est sorti et, c’était un texte très puissant. J’en ai retenu l’absurdité des situations er l’incompétence des intervenants. La bêtise du monde occidental. Ce qui ne transparaît pas dans la pièce. On ne veut nous montrer que le malheur du peuple congolais (si peuple il y a). Le reproche que l’on pourrait faire est que Mr Vuillard n’est pas intervenu, peut-être satisfait que son texte soit donné par des Congolais ?