Le réalisateur et documentariste Florian Heinzen-Ziob a suivi dans Dancing Pina les répétitions de deux spectacles Iphigénie au Semperoper en Allemagne et Le sacre du printemps à l’École des Sables près de Dakar avec de jeunes danseurs, guidés par d’anciens membres du Tanztheater de Pina Bausch, dont la danseuse et chorégraphe Clémentine Deluy. Un documentaire magnifique dans lequel on entre l’intimité de l’univers de Pina Bausch.
Formée à l’école Nationale de Marseille sous la direction de Roland Petit, Clémentine Deluy intègre le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch en 2006. Aujourd’hui elle est régulièrement invitée par la compagnie. En 2019, à Dresde, elle dirige la nouvelle mise en scène d’Iphigénie en Tauride.
Pina Bausch fait partie des grandes chorégraphes qui ont marqué l’histoire de la danse au 20e siècle. Quelle trace laisse-t-elle dans votre mémoire ?
Elle m’a laissé une trace indélébile, et je pense que c’est la même chose pour le public. Et si je continue à perpétuer cette trace alors que j’ai quitté la compagnie il y a quelques années, c’est parce que je continue à avoir envie de creuser le travail de Pina. On apprend tout avec Pina. On apprend comment marcher, comment courir, comment regarder vraiment une personne dans les yeux. On apprend aussi les moments de silence. Sur scène vous voyez la virtuosité de la chorégraphie et ces mouvements, mais il y a en amont tout ce travail unique qui prend beaucoup de temps et qui nous plonge vraiment au plus profond de nous mêmes pour pouvoir trouver la justesse du moment.
Le documentaire pose la question de la transmission d’un héritage chorégraphique quand un artiste n’est plus là. Est ce que cela a été difficile pour vous avec les danseurs du Semperoper Ballett ?
Oui, ce n’est pas simple mais cela ne s’oublie pas. Dans mon cas, j’ai eu beaucoup de chance d’être à côté de Malou Airaudo qui a créé le rôle d’Iphigénie. Elle n’a rien oublié. Et pour Le Sacre du printemps, j’étais à côté de Josephine Ann Endicott. Je me nourrissais sans arrêt de leur savoir, de toutes leurs petites phrases et de toute la nourriture humaine que chacune a vécu.
Comment vous avez travaillé pour transmettre Iphigénie à Dresde ?
Lorsque j’ai accepté et donné mon accord à Salomon Bausch et à Dominique Mercy, je leur ai dit que je voulais me préparer en amont avec Malou. J’avais déjà dansé la pièce, mais ce n’était pas suffisant. Donc on a travaillé pendant un mois toutes les deux, dans une profonde intimité, à se rappeler l’ensemble de la chorégraphie pour les grandes choses et aussi les toutes petites qui sont aussi des grandes choses chez Pina. Et on a beaucoup regardé les vidéos, car grâce à la fondation Pina Bausch, tous les ballets sont filmées depuis 1973. J’ai donc regardé les vidéos de la création en 1974, puis les suivantes pour voir l’évolution avec les autres danseuses, sauf les miennes ! Tout ce travail m’a permis de me dire que j’avais en face de moi, deux danseuses différentes et j’ai pu leur donner une couleur différente à l’une et à l’autre. Car le travail de Pina Bausch est comparable à la haute couture.
Est-il est facile ou difficile de transmettre un héritage aussi important avec ses propres mots ?
C’est très difficile parce que je ne suis pas forcément très à l’aise avec les mots. Et puis Pina parlait très peu, donc j’ai très peu de mots aussi. Heureusement j’avais le vécu de la pièce à partager. Le devoir de transmission est très fastidieux mais on y arrive parce l’équipe vous porte aussi. On est sans arrêt en train de nous questionner.
Ce qui est joli dans le documentaire, ce sont les allers retours entre Dresde et Dakar, entre l’Europe et l’Afrique. Et on s’aperçoit que les questionnements des danseurs sont les mêmes à des milliers de kilomètres.
Complètement. Ça vient du fait que Pina utilise l’être humain. Au sein de la compagnie, on était un éventail de plusieurs nationalités, avec des histoires très différents des autres. Ce qui nous rapprochait, c’était le rapport au mouvement. Et nous partagions la même rigueur. Et ce qui ressort du documentaire, c’est la belle humanité qui se dégage sur les plateaux, en Allemagne ou à l’Ecole des Sables chez Germaine Acogny.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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