Christian Schiaretti signe de la pièce surréaliste de Roger Vitrac une version équilibrée entre drôlerie et méchanceté mais n’exploite pas à fond sa portée provocatrice. L’une de ses dernière création à la tête du Théâtre National Populaire de Villeurbanne, dont il quittera la direction le 31 décembre 2019.
Rien de plus étonnant que cette pièce de Vitrac aux apparences de comédie bourgeoise qui pervertit les valeurs de la société bourgeoise. Entre facétie et rébellion, le personnage principal de la fable est un jeune garçon de 9 ans dont c’est le jour d’anniversaire. La fête organisée par ses parents tourne au vinaigre lorsque le bambin devenu soudainement grand et terriblement intelligent met à sac l’ordre social pour révéler toute la nullité à ses yeux de son environnement familial face auquel il se montre délibérément hostile.
Victor ou les enfants au pouvoir est une pièce follement sacrilège montée dans des versions drastiquement contrastées : tantôt est privilégié son esprit totalement boulevardier (Alain Sachs) tantôt s’assume une lecture tragique et mortifère (Emmanuel Demarcy-Mota). Il y a, à l’évidence, autant de cocasserie que de cruauté dans le texte. Christian Schiaretti signe un travail qui fait une bonne synthèse des deux.
Le metteur en scène trouve un solide Victor en la personne de David Mambouch, jeune acteur et réalisateur, fils de Maguy Marin, tout à fait remarquable. Physique trapu, charpenté, il n’est ni le frêle Peter Pan de Lorant Deutsch ni le géant dégingandé de Thomas Durand, tout deux se sont respectivement illustrés dans les mises en scènes précitées. Plein d’exaltation et de perversion enfantines, il se montre très crédible en sale gosse faussement candide et pataud, vraiment dénonciateur, vraiment manipulateur. Autour de lui, une troupe joyeusement énergique, au jeu volontairement outré, stéréotypé, parfois un peu premier degré, campe les adultes suffisants et satisfaits bientôt sidérés par le cataclysme opéré. Ils sont les parents, les voisins, la bonne, un général aux instincts pédophiles, et l’étrange Ida Mortemart, formidablement interprétée par Olivier Balazuc en travesti de cabaret.
Il y a quelque chose de clair et brillant dans la manière dont est orchestré ce jeu terrible et féroce de démasquage des apparences, de pulvérisation des convenances. Cette dynamite orchestrée par Victor se matérialise par le délitement progressif du décor, sorte de puzzle formant en enfilade chacune des pièces de la maison aisée. Tout est chic et graphique dans ce cocon familial, en noir et blanc, puis coloré de confettis et de ballons de baudruche…
Emporté par la folie qui souffle sur le plateau, on rit et on est glacé. Il manque peut-être un vent de contestation plus net. Victor adopte un rapport au monde d’une incroyable radicalité. Il n’accepte pas le conformisme rigide de la société, et s’érige en figure de révélateur, de détonateur. Il mourra plutôt que de se plier aux règles. Exceptionnellement lucide, il cède avec le monde qu’il a voulu voire s’effondrer.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Victor ou les enfants au pouvoir
de Roger Vitrac
Mise en scène Christian Schiaretti
Avec Olivier Balazuc, Olivier Borle, Philippe Dusigne, Ivan Hérisson, Safourata Kabouré, Clémence Longy, David Mambouch, Corinne Martin, Juliette Rizoud, en cours …
scénographie Fanny Gamet
lumières Julia Grand
costumes Mathieu Trappler
maquillage et coiffures Françoise Chaumayrac
assistanat à la mise en scène Yolanda Mpele
production Théâtre National PopulaireDuré : 1h45
Théâtre National Populaire
Villeurbanne
7 – 30 mars 2019
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