Au Théâtre du Vieux-Colombier, la jeune metteuse en scène reprend J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Aux manettes de ce petit bijou de sensibilité, elle peine à trouver le ton juste à cause d’une direction d’actrices inégale.
Lorsqu’on les lit ou lorsqu’on les voit, les pièces de Jean-Luc Lagarce produisent toujours ce même effet diffus, cette étrange attraction presque imperceptible et, en même temps, irrémédiable. Naturellement, elles embarquent dans un univers indéfini, où des situations apparemment bien réelles sont plongées dans un halo fantasmagorique. Publiée entre Juste la fin du monde et Le Pays lointain, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne n’échappe pas à cette règle, avec tous les défis de mise en scène qu’elle impose.
Au Théâtre du Vieux-Colombier, Chloé Dabert les relève avec un certain talent. En lectrice avisée, elle sait capter et mettre en valeur ces quelques mots, infimes, que Lagarce sème çà et là pour créer le doute. Le retour du fils absent, longtemps espéré, a-t-il bien eu lieu ? N’est-ce que le mirage d’un évènement à venir ? Ou, au contraire, l’éternel retour d’un passé douloureux ? Le dramaturge se plait à entretenir la confusion et l’habile metteuse en scène s’inscrit dans ses pas. Entre réalité et rêverie, elle ne cherche jamais à trancher pour, justement, en conserver toute la force mystérieuse.
Au cœur de l’élégante scénographie, symbolique et épurée, de Pierre Nouvel qui matérialise l’omniprésence douloureuse de l’absent, les cinq femmes errent comme autant de fantômes. Éreintées par cette trop longue attente qui a miné leur vie, La Mère et La Plus Vieille semblent incapables de répondre sincèrement à la série de reproches que leur adressent les trois jeunes femmes. Révoltées par ce passé gâché, par ces « années perdues », elles ne veulent pas hypothéquer leur avenir, ont soif de projections et de projets, quitte à espérer la mort rapide d’un frère, devenu un poids trop lourd à porter.
Magnifique de sensibilité, le texte choral de Lagarce est épineux, fait d’une progression dramaturgique lente, muée par les interventions symboliques de personnages dont l’Ainée est le principal moteur. Toutes dotées d’une belle énergie, Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder font leur possible pour le dompter. Las, la direction de Chloé Dabert ne semble pas avoir trouvé le juste milieu, le ton adéquat pour dire toute la détresse de ces femmes. Quand Jennifer Decker apparait trop en retrait, Suliane Brahim et Rebecca Marder tentent régulièrement de passer en force. Plutôt que d’être suggérée, l’émotion est alors imposée, à grands renforts d’éclats de voix sonores et de larmes factices. Seul, le texte était pourtant suffisamment puissant pour ne pas ajouter cette surcouche de jeu superflue qui s’inscrit à contre-courant de l’infinie délicatesse que Lagarce suppose.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne
de Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Chloé Dabert
Avec
Cécile Brune
Clotilde de Bayser
Suliane Brahim
Jennifer Decker
Rebecca Marder
Scénographie : Pierre Nouvel
Costumes : Marie La Rocca
Lumières : Kelig Le Bars
Musique : Lucas Lelièvre
Collaboration artistique : Sébastien EvenoVieux-Colombier
24 janv 2018 04 mars 2018
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