Cher Cinéma ouvre magistralement la 13e édition du festival Séquence Danse, temps fort chorégraphique initié par le Centquatre-Paris. Jean-Claude Gallotta y rend un hommage franc et intime aux rencontres de cinéma qui ont jalonné son parcours, déploie une amplitude électrique et se renouvelle une fois de plus avec une vibrante ardeur.
Jean-Claude Gallotta a souvent pratiqué les hommages, notamment à son mentor chorégraphique, Merce Cunningham (Le Jour se rêve), au rock’n’roll (My Rock et My Ladies Rock), à Gainsbourg et Bashung (L’Homme à tête de chou), au compositeur Pavel Haas (Hommage à Pavel Haas), ou il y a longtemps, à un ami disparu (Fragments d’une nuit – Hommage à Yves P). La musique, la danse, l’amitié. Trois ingrédients phares d’une vie de création marquée par la fidélité à des danseurs et danseuses que l’on a plaisir à retrouver d’un spectacle à l’autre. Comme un fil rouge, des corps conducteurs d’une écriture chorégraphique toujours primesautière, parcourue d’élans gourmands, de mouvements de groupe entraînants, d’une vitalité franche et généreuse. Il manquait à la liste de ce cycle de chorégraphies de gratitude, un hommage au septième art. Voilà qui est fait avec ce Cher Cinéma, programmé en ouverture de la 13e édition du festival Séquence Danse au Centquatre-Paris.
Qui sait ce qui nourrit une œuvre, ce qui l’innerve en sourdine, la traverse de part en part, s’invite et s’immisce. Qui sait l’étendue des réseaux d’influence et d’inspiration qui se glissent dans le geste de création. Si l’enseignement et l’héritage du maître absolu, Merce Cunningham, ne font aucun doute, si le lien pulsatile et joyeux qu’entretient Jean-Claude Gallotta à différentes sources musicales s’expose ouvertement dans l’électricité de ses bandes-son, l’apport du cinéma restait plus discret, plus secret, à la marge. Il était temps, 45 ans après la naissance de sa compagnie, le Groupe Emile Dubois, d’accorder à ses rencontres de cinéma la primeur d’un spectacle. Et Jean-Claude Gallotta, une fois de plus, s’en sort avec un panache faramineux qui n’a d’égale que la sincérité totale de sa démarche.
D’abord, le noir de la salle obscure et la voix off du chorégraphe qui nous glisse à l’oreille d’emblée : « Finalement, je n’aurais eu qu’une école : le cinéma ». Sa dernière création, élaborée en collaboration avec Claude-Henri Buffard à la dramaturgie et Mathilde Altaraz, son fidèle bras droit de toujours, avance ainsi, et à parts égales, sur trois niveaux de représentation : texte, musique et danse. Les trois s’imbriquant sans se faire de l’ombre, se complétant comme en un jeu de vases communicants. Et l’on glisse de séquence en séquence, au rythme de ces trois éléments. Le texte s’écoule à la première personne du singulier, en lettres adressées à chaque cinéaste impliqué, plongée dans ses souvenirs et anciens spectacles, ponctué d’anecdotes sensibles et d’une phrase leitmotiv : « Ce que j’ai appris de vous ». De l’un l’exigence, de l’autre l’élégance ; de l’une, la dignité, de l’autre l’insolence, l’intensité, le dépassement…
Un chemin de danse et de cinéma mêlés qui témoigne du dialogue d’un artiste venu des Beaux-Arts avec des cinéastes aussi éclectiques que Léos Carax, Anne-Marie Miéville, Jean-Luc Godard, Toni Marshall, Nanni Moretti, Robert Guédiguian, Claude Mouriéras, Raoul Ruiz ou Patrice Chéreau… La dramaturgie évite avec aisance l’effet de liste, de répétition ou de redondance. Car chaque tableau, lié à un profil de réalisateur ou réalisatrice, est habillé d’une composition musicale différente, variant les dynamiques et les ambiances. Les micro-récits se suivent, mais ne se ressemblent pas, tissent des liens simples, mais jamais convenus, entre ces deux arts chéris du chorégraphe.
Jean-Claude Gallotta parvient à sonder le passé sans être ni dans l’hagiographie des stars évoquées, ni dans la nostalgie d’une époque révolue, ni dans le narcissisme d’auto-citations chorégraphiques. L’écueil était pourtant caché en embuscade dans la nature de ce projet, mais le miracle du présent opère. La chorégraphie, si elle porte la marque de ce qui fait l’ADN « gallottien », n’est jamais du recyclage, du déjà-vu, de la redite. 45 ans après ses débuts, cette personnalité phare de la danse est encore verte et fringante, capable de toutes les audaces. Sa danse a la fraîcheur de ses premiers pas, elle caracole et galope, tout entière concentrée dans l’énergie du geste et la caresse. Les mains n’ont jamais été aussi présentes, elles sont partout, parfois en gros plan sous l’éclairage ciblé d’une lampe de poche, et le mouvement ne s’arrête pas avant d’avoir été jusqu’au bout des doigts. Les jambes sont des compas, des aiguilles d’horloge, des balanciers de pendule, des défis à la force de gravité. Jamais convenus, jamais prévisibles, les déplacements organisent les corps dans toute la largeur et la profondeur du plateau, soulignée par une rangée de chaises face public en fond de scène.
En grappes de filles et de garçons, en frise serrée ou éclatés tous azimuts, toutes générations confondues, toutes et tous vêtus d’un costume noir sur chemise blanche avec cravate, la troupe est remarquable de présence, de précision, de maturité, d’incarnation. Entre ruptures de rythme et volte-faces, duos et ensembles, cette danse aussi puissante que bondissante semble plus ancrée que d’habitude, plus déposée dans les corps. Elle n’illustre jamais la parole entendue ni les films convoqués. Elle échappe à l’image par la rapidité de ses enchaînements, ne s’installe jamais dans une seule référence, mais brasse la diversité de ses résonances en un magma aéré où les lignes sont claires, mais l’impression d’ensemble diffractée et subtilement désordonnée. L’écriture laisse place au souffle, à la personnalité de chaque interprète. Tout respire et s’harmonise. Et l’on croirait voir des champs/contre-champs dans ces poids/contre-poids, des changements de focale, des travellings, des plongées et contre-plongées, tant notre regard est sollicité dans cet art du mouvement qui effectivement à de grandes connivences avec le 7e art. Hommage rendu. Hommage réussi.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Cher Cinéma
Chorégraphie Jean-Claude Gallotta
Assistante à la chorégraphie Mathilde Altaraz
Avec Axelle André, Alice Botelho, Ibrahim Guétissi, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Clara Protar, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger
Musique originale composée et interprétée par Éric Capone (piano, claviers, guitares, basse, percussions, violon alto) et Sophie Martel (programmation MAO, guitares, basse)
Textes Jean-Claude Gallotta, Claude-Henri Buffard
Dramaturgie Claude-Henri Buffard
Lumières et scénographie Manuel Bernard, assisté de Benjamin Croizy
Costumes Jacques Schiotto, assisté d’Anne BonoraProduction Groupe Émile Dubois / Cie Jean-Claude Gallotta
Coproduction : Théâtre de Caen ; Maisondelaculture de Bourges, Scène nationale
Avec le soutien de la MC2 : Grenoble, Scène nationale ; Théâtre des Franciscains, Béziers ;
Saint-Martin-d’Hères en scène, Scène régionale conventionnéeLe Groupe Émile Dubois / Cie Jean-Claude Gallotta est soutenu par le ministère de la Culture – Direction générale de la création artistique / Direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le Département de l’Isère et la Ville de Grenoble.
L’extrait de la Valse des capes, dans la séquence Raoul Ruiz, a été composé et enregistré en 1985 par Henry Torgue.
Durée : 1h15
Centquatre-Paris, dans le cadre du festival Séquence Danse
du 19 au 21 mars 2025anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes
les 6 et 7 maiMC2 : Maison de la culture de Grenoble
du 3 au 6 juin
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