Créé il y a plus de dix ans, le Cendrillon écrit et mis en scène par Joël Pommerat revient au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Une reprise quasi à l’identique : seule la comédienne incarnant désormais le personnage de Cendrillon, impressionnante Léa Millet, a changé. Le spectacle lui est comme neuf : surprenant, profond, impressionnant, drôle et tellement plein de finesse. Pas plus que sur les contes, le temps n’a de prise sur le talent. Et celui de Pommerat n’est plus à prouver, juste une nouvelle fois à éprouver.
Comme il l’a fait avec Le Petit Chaperon rouge, Pommerat se fait un plaisir de remanier à sa sauce le récit d’origine. Sa Cendrillon s’appelle Sandra et voit bien sa mère mourir et son père se retrouver une femme. Mais, sa souffrance, elle se la crée elle-même, en cherchant à obéir à ce qu’elle a compris être les dernières volontés de la défunte, qu’elle a en fait mal entendues. Elle s’oblige donc à ne pas passer plus de cinq minutes sans penser à sa mère, par peur de la faire mourir ainsi une seconde fois. Elle s’achète pour cela une grosse montre, dont la sonnerie retentit régulièrement. Humour immense de Pommmerat qui blague si habilement avec la mort, sans en estomper le trauma, et tire le conte du côté du rapport à cette mère, dont l’absence pèse, mais qu’il faut bien finir par tuer.
D’ailleurs, son père, falot pas méchant, ne meurt pas, lui. Chez Pommerat. Il est simplement effacé, annihilé par sa nouvelle femme, une marâtre qui vit dans une grande maison en verre – il faut voir l’hilarante arrivée à la Tati de Sandra et son père dans la demeure ! Elle a bien deux filles pas sympa, pas très belles du type grande gigue et petit pot à tabac, mais elles en sont autant les victimes que les alliées. Figure de femme qui ne jure que par l’apparence et le succès, et qui s’emporte à tout bout de champ, cette mère là aussi, personnage pourtant tellement drôle, il faudra l’éliminer.
Et la dernière mère à qui régler son compte, c’est celle du Prince. Elle, son père dit qu’elle est retenue loin du domicile depuis quelques années en raison de grèves de transport ! Et le Prince espère chaque soir, comme son père le lui promet, qu’elle va l’appeler sur le coup de minuit.
La malice de Pommerat est géniale. Il tord le conte dans une relecture à multiples entrées. Psy, bien sûr. Depuis Bettelheim, peut-on y échapper ? Un brin politique avec ses si contemporaines injonctions au succès. Mais beaucoup aussi via sa manière de subvertir le conte, ses attendus et les rôles des genres sexuels. Jusqu’à délivrer une morale qui s’écarte bien sûr du moralisme mielleux à la Walt Disney. Le tout dans des époques qui se superposent et se télescopent parfois. Les princes ici font des soirées techno, la marâtre, elle, sort tout droit de Playtime et ses filles sont tout le temps sur leurs portables. La fée marraine baba cool qui tire sur sa clope sans arrêt entre deux tours de magie ratés y insérant une tranche de seventies.
On a déjà beaucoup dit de la maîtrise scénique du metteur en scène. De ses noirs stupéfiants qui ouvrent sur de superbes images. Du talent de l’auteur à composer des saynètes où tout paraît si simple qu’on a l’impression qu’on pourrait le faire, et en même temps d’une immense subtilité. Comme d’habitude, ses interprètes, venus de Belgique, sont étonnants, la qualité de leur performance se confondant avec l’originalité toujours surprenante de leurs personnages. Les éclairages et la scénographie d’Eric Soyer varient les angles et installent comme par magie des images qui restent gravées dans la mémoire. Le tout est composé avec autant de dérision que de profondeur et nous entraîne avec délice dans ces contrées de l’enfance que Pommerat aime à arpenter, comme pour y retrouver cet être libre, sensible, imaginatif, pas encore emprisonné dans sa construction familiale, morale, sociale ou biographique, pas encore rattrapé par la tristesse. Cette part enfantine que l’adulte, s’il doit faire mourir la mère, doit au contraire tout faire pour préserver.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Une création théâtrale de Joël Pommerat
Avec la collaboration de la Compagnie Louis Brouillard.
Avec Alfredo Cañavate (en alternance avec Jean Ruimi) ; le père de la très jeune filleNoémie Carcaud ; la fée, la sœur
Caroline Donnelly ; la seconde sœur, le prince
Catherine Mestoussis ; la belle-mère
Léa Millet ; la très jeune fille
Damien Ricau ; le narrateur
Marcella Carrara, la voix du narrateur Julien Desmet
Le rôle de la très jeune fille a été créé par Déborah Rouach
Scénographie et lumière Eric Soyer
Costumes Isabelle Deffin
Son François Leymarie
Vidéo Renaud Rubiano
Musique originale Antonin Leymarie
Collaborateur artistique Philippe Carbonneaux
Assistant mise en scène à la création Pierre-Yves Le Borgne
Durée: 1h45Théâtre de la Porte Saint-Martin
Du 3 mai au 19 juillet 2022
Du mardi au vendredi 20h
samedi 20h30, et dimanche 16hSCEAUX, LES GÉMEAUX
DU 23 AU 25 SEPTEMBRE 2022SURESNES THÉÂTRE JEAN VILAR
LES 6 ET 7 OCTOBRE 2022VALENCIENNES LE PHÉNIX, SCÈNE NATIONALE DE
DU 20 AU 22 OCTOBRE 2022LA ROCHELLE, LA COURSIVE, SCÈNE NATIONALE DE
DU 7 AU 10 NOVEMBRE 2022CHÂLONS-EN CHAMPAGNE , LA COMÈTE, SCÈNE NATIONALE
LES 16 ET 17 NOVEMBRE 2022DRAGUIGNAN, THÉÂTRES EN DRACÉNIE
DU 9 AU 11 MARS 2023GAP, LA PASSERELLE , SCÈNE NATIONALE
LES 16 ET 17 MARS 2023MOUGINS, SCÈNE 5 5
DU 23 AU 25 MARS 2023HAVRE, LE VOLCAN, SCÈNE NATIONALE DU
LES 4 ET 5 MAI 2023ANTIBES, THÉÂTRE ANTHÉA
DU 10 AU 23 MAI 2023DUNKERQUE, LE BATEAU FEU, SCÈNE NATIONALE DE
DU 24 AU 26 MAI 2023
Il y a décidément de plus en plus d’unité dans le théâtre de Joel Pommerat. Sa manière de s’emparer du conte n’est pas innocente : il y a une très forte continuité entre « Ma chambre froide », texte original et « Cendrillon », dont les deux figures féminines principales sont comme des soeurs. L’humour, de plus en plus présent chez Pommerat, ne nuit en rien à la profondeur de cet univers. Au contraire, les deux sont étroitement mêlés, pour notre plus grande satisfaction.
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