La comédienne et chanteuse Cécile Garcia Fogel recréée son spectacle Trézène mélodies qui voyait le jour en 1996. Avec Mélanie Menu et Ivan Quintero, elle entremêle dans un délicat parler-chanté les mots de Racine et ceux du poète grec Yannis Ritsos pour dire à la fois l’amour impossible de Phèdre, et son goût à elle pour cette passion-là.
À l’heure où les spectacles reportés pour cause de Covid et les nouvelles créations se succèdent à très grande vitesse dans les théâtres, souvent sans avoir le temps de mûrir et de trouver vraiment leur public, Trézène mélodies de Cécile Garcia Fogel peut résonner comme une mise en garde. En recréant ce spectacle qu’elle concevait quelques années après sa sortie du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, en 1996, l’artiste dit sa nécessité à creuser certains gestes sur la durée, à les remettre en jeu pour les pousser plus loin. Lorsqu’elle entre avec la comédienne et chanteuse Mélanie Menu et le musicien Ivan Quintero sur une scène plongée dans une pénombre striée de quelques rais lumineux, elle semble revenir sur des lieux quittés depuis longtemps, mais dont les souvenir sont encore vifs. Après avoir incarné bien des rôles, auprès de nombreux metteurs en scène – dont celui de Phèdre, dans une mise en scène de Christophe Rauck –, elle fait en quelque sorte sa propre archéologie.
Mais Cécile Garcia Fogel ne se contente pas d’explorer, de revisiter le travail déjà fait. Si elle part sur ses propres traces, c’est pour aller plus loin qu’auparavant. Non pas dans l’histoire de Phèdre, qu’elle racontait, ou chantait, ou racontait-chantait déjà jusqu’à son triste terme, mais dans sa manière de le faire, dans son équilibre entre la parole du conteur et celle de la chanteuse. N’ayant pu voir la première version du spectacle, nous nous en tiendrons aux mots que l’artiste pose sur son propre travail d’hier : « À l’époque en 1996, j’ai composé naïvement les mélodies, inspirée moi-même par le chant traditionnel et populaire. Influences espagnoles, flamenco quelques notes de jazz et rengaines enfantines répétitives ». Elle revient à Phèdre avec une maturité qui la pousse à davantage de dépouillement : alors qu’elle rassemblait à l’époque autour d’elle autant de comédiennes-chanteuses que compte de personnages la pièce de Racine – elles étaient sept –, elle opte cette fois pour une distribution beaucoup plus limitée.
Avec Mélanie Menu, Cécile Garcia Fogel oscille délicatement entre chant-récit et chant-incarnation de tous les personnages de la pièce de Racine. La guitare et la présence quelques fois chantante d’Ivan Quintero les accompagne : sur sa musique, les alexandrins révèlent leur perfection tout en légèreté. Comme la voix douce, fragile de Cécile Garcia Fogel, ils s’envolent souvent. Mais jamais longtemps : le timbre ferme, profond de Mélanie Menu ne laisse pas longtemps la précieuse langue racinienne évoluer dans les airs : elle la ramène parmi nous. Elle fait ressortir l’humanité de Phèdre à travers les élans, les déchirements qu’elle éprouve lorsque, après avoir avoué à son beau-fils Hippolyte son amour pour lui, elle apprend que son mari Thésée n’est pas mort à la guerre comme elle le croyait. Un autre grand changement par rapport à la première version du spectacle rapproche aussi beaucoup l’héroïne de nous : l’ajout de textes du poète grec Yannis Ritsos (1909-1990), qui grâce au chant se fondent dans les alexandrins de Racine.
En intégrant à sa partition des extraits de l’anthologie de poèmes de Yannis Ritsos Le Mur dans le miroir (1973) et de Phèdre (1975), qui s’inscrit dans une série de monologues dramatiques sur des héros de la mythologie, Cécile Garcia Fogel réchauffe Racine. Elle fait ressortir la sensualité et le courage, l’audace de Phèdre. Un chant en grec souligne la belle hétérogénéité de l’ensemble, que le parler-chanté de Cécile Garcia Fogel et Mélanie Menu font apparaître tout à fait naturel, harmonieux. Dans Trézène mélodies, le savant et le populaire se côtoient comme le font des écritures d’époques et de registres très différents : inspirée du fait de ses origines par les mélodies espagnoles et orientales populaires, l’artiste qui se refait une Phèdre en retient une forme de simplicité, de frontalité qui nous ferait presque danser.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Trézène mélodies
Mise en scène et musique Cécile Garcia Fogel
Fragments de Phèdre de Jean Racine
et poèmes de Yannis Ritsos, Phèdre et Le Mur dans le miroir
Avec Cécile Garcia Fogel, Mélanie Menu (jeu et chant) et Ivan Quintero (guitare et voix)Scénographie et costumes Caroline Mexme
Lumières Olivier Oudiou
Collaborations artistiques :
Regard extérieur Philippe Jamet
Travail vocal Jean-François LombardProduction Théâtre du Nord – CDN
Avec le soutien du Théâtre de Gennevilliers – centre dramatique national
Première création en 1996 au Théâtre de la Bastille et au Théâtre de Sartrouville.
Durée : 1h
Théâtre 14
Du 19 au 30 avril 2022
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !