C’est dans une salle minuscule et haut perchée de La Scala Provence que l’on découvre ce spectacle intimiste et bouleversant qui signe la rencontre de trois artistes, Teresa Ovidio, Jean-Marie Galey et Elisabeth Chailloux. Une plongée dans la correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès pour porter à la scène une sélection de leurs lettres enflammées. Et les deux monstres sacrés, éperdument complices et amoureux, de prendre corps et voix sous les toits.
Editée en 2017 chez Gallimard, la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès a fait grand bruit dans le monde littéraire, comme porte d’entrée passionnante dans l’intimité de deux personnalités ayant marqué l’Histoire des arts vivants, de la littérature et de la philosophie. Témoignage intime et contextuel saisissant, au plus près des réflexions de deux êtres d’exception, fait de confidences amoureuses, d’observations personnelles, d’anecdotes et de sautes d’humeur, ces lettres, écrites avec une régularité fascinante à une époque encore loin des mails, SMS et autres outils de communication connectés, nous plongent au cœur de la relation épistolaire qui unissait l’écrivain et la comédienne, souvent éloignés par les contraintes familiales de l’un et surtout par leurs emplois du temps respectifs, dans la vie artistique de l’une et intellectuelle de l’autre. Mais ce qui se joue dans ces archives à nulle autre pareilles, qui nous renvoient à la puissance de l’écriture comme lien et nous confrontent aux dessous d’une idylle illégitime bien que connue de tous, dépasse le sentiment amoureux et inscrit les amants dans leur temps. Et si l’on connaissait la plume souple et déliée, sensible et profonde, d’Albert Camus, on ignorait les talents d’écriture et le franc mordant de Maria Casarès. Et c’est une révélation.
Produite entre 1944, année du début de leur liaison et la mort accidentelle de l’écrivain en janvier 1960, cette foisonnante correspondance est une immersion impressionniste dans les coulisses de leur intimité autant que le reflet d’une époque à peine remise de la seconde guerre mondiale. Une matière à jouer évidente dont Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio se sont emparés, subjugués par la puissance théâtrale des lettres. Pour les mettre en scène, le duo a fait appel à l’ancienne directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry, Elisabeth Chailloux qui a su, avec la vivacité qu’on lui connaît, orchestrer la réunion de ces deux interprètes magnifiques et magnétiques. Le résultat s’écoute à La Scala Provence, dans une salle minuscule aux airs de barque. On y oublie le brouhaha du Festival d’Avignon, et on s’arrime avec délice à ce couple scénique magistral qui nous entraîne dans le tourbillon relationnel de ces deux étoiles.
Aucun des deux interprètes ne ressemble à son rôle et c’est tant mieux ; aucun ne cherche à l’imiter et c’est pertinent également. Mais chacun est mu par une énergie qui semble tout droit sortir des lettres elles-mêmes. La désinvolture de Camus, son embarras parfois, sa finesse d’observation, sa pudeur, Jean Marie Galey se glisse dedans avec un charisme et une présence de l’ordre de l’évidence. L’énergie tellurique de Casarès, ses élans, ses cris du cœur, ses emportements, cette langue qu’elle n’a jamais dans sa poche, Teresa Ovidio les embrasse à bras-le-corps, toute en intensité. Elle vibre au plus près de nous et les frémissements de sa peau nous tirent larmes et frissons. C’est peu dire qu’elle brûle les planches.
Passionnant et bouleversant, ce spectacle de proximité respire la nécessité de créer, et s’écoute dans l’étreinte d’une relation scène-salle épidermique et palpitante. Dans un mobilier léger qui réveille l’atmosphère d’une époque, un homme et une femme se tiennent l’un face à l’autre de part et d’autre du plateau, ils viennent d’entrer et s’apprêtent à se livrer sans fard à un pas de deux dialogué, un ballet où leurs corps dans l’espace s’attirent, se rencontrent, s’éloignent sur la tonalité des lettres échangées. L’écriture devient alors parole de chair, la distance attise l’embrasement du désir, leur attirance physique se lit dans les plis de l’air, l’ambiance est surannée et électrique de tout ce qu’ils ont à partager, leurs voix se répondent et dans leurs yeux qui se regardent c’est toute la complicité d’âme qui les unit que l’on traverse avec eux. Rarement Albert Camus et Maria Casarès ne nous auront semblé si proches.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Camus-Casarès, une géographie amoureuse
Adaptation et interprétation Jean Marie Galey et Teresa Ovidio
Mise en scène Elisabeth Chailloux
Chorégraphie Sophie Mayer
Lumières Franck Thévenon
Son Thomas GauderCoproduction Châteaux en Espagne ; Théâtre de la Balance
Soutiens Adami / SpedidamDurée : 1h25
Festival Off d’Avignon 2023
La Scala Provence
du 7 au 29 juillet, à 18h30 (relâche les 10, 17 et 27)
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