Dédié à la création contemporaine internationale la plus hétéroclite qui soit, le festival piloté par le Phénix de Valenciennes a révélé le travail très engagé et percutant malgré ses faiblesses de l’artiste roumaine Ioana Paun et accompagné la dernière création musicale de Halory Goerger, l’un de ses artistes associés.
C’est la première fois que le travail de Ioana Paun est présenté en France. La jeune artiste a grandi et vécu en Roumanie puis en Irak et en Angleterre. Elle avait quatre ans lorsque le dictateur Ceausescu a été exécuté et a connu plusieurs contextes politiques d’une violence que l’on retrouve dans des spectacles radicaux, militants, qui font prendre de plein fouet les dérives de la réalité. Sans s’inscrire dans une démarche purement documentaire, son œuvre s’inspire de faits réels et traite sans détour de sujets polémiques et épineux qui agitent nos sociétés à savoir l’immigration, l’intégration, l’exclusion, la mise à mal de l’altérité. Domestic Products relate la tendance de riches familles roumaines à engager et maltraiter des femmes émigrées et sans papiers comme employées de maison, Organisme Modificate Genetic (OMG) s’ouvre sur un sordide fait divers : l’assassinat d’une jeune femme musulmane dont le corps est retrouvé inerte sur un terrain vague et recouvert de kilos de graisses de porc dissimulés sous sa burqa. Ces pièces dénoncent l’absence de droits, de protection sociale, juridique des minorités, l’absence de valeurs humanistes, pointe une analyse tronquée et un rapport contrefait de la réalité forcément recomposée, instrumentalisée, où la relativité du jugement prédominant ne permet pas une vraie pensée sur les faits présentés.
Ioana Paun semble assumer sans complexe le malaise qu’elle suscite, tout cela au moyen d’une forme finalement peu élaborée et un peu épaisse mais qui fait prendre conscience, montre et choque à bon escient. Les corps et les discours occupent une place centrale dans son théâtre qui opte pour une adresse sèche et frontale, favorise une proximité dérangeante avec le public éventuellement inclus directement sur scène ou disposé en bi-frontal de telle sorte qu’aucun échappatoire ne soit permis.
C’est dans une toute autre sphère, loin du réel suffoquant, que nous convie Halory Goerger. L’auteur et performeur crée au Phénix un objet théâtral tout à fait singulier, aussi minimaliste que fantaisiste, une sorte de voyage catatonique inspiré des compositions expérimentales de Morton Feldman. Four For se présente comme une bulle déconnectée, silencieuse et immobile, où l’on suit les pas de quatre personnages guidés par la musique qui s’invitent en expédition dans l’intériorité du corps mourant du musicien new-yorkais. Ils errent sur un large tapis de laine brute évoquant aussi bien le désert mésopotamien que l’intérieur respirant du cerveau humain. Ils semblent vivre quelque chose d’insolite, emprunt de quiétude et d’aventure. Dans un drôle de mélange de trivialité et de quasi mysticisme, ils explorent d’impénétrables visions et perceptions, une temporalité altérée, dilatée, c’est assez comateux et vertigineux.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Cabaret de curiosités 2019
Le Phénix
26 février-2 mars 2019
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !