Avec Bros, présenté à la MC93, l’artiste italien revient à une forme théâtrale radicale et conceptuelle capable de livrer des images et des sensations aussi puissantes que l’inconfort visuel et sonore devant lequel elle installe. D’une façon inouïe, Castellucci y fait spectacle d’une violence cyclique et paroxystique.
Placées à la rampe du plateau nimbé d’une noirceur morbide et d’un froid brouillard de fin du monde, d’étonnantes machines actionnent leurs mouvements rotatifs tout en produisant un vrombissement tonitruant. Dans ce climat hostile et inhospitalier, un voyageur errant et délirant, patriarche en tunique blanche soutenu par son bâton de pèlerin, s’apparente à un mage, un prophète, dont la parole vociférante et plaintive sonne étrangère. Remonté aux temps bibliques immémoriaux, le spectateur est aussi vite confronté au monde contemporain qui est le sien, celui de la surveillance et de l’hyper-sécurité, de l’autorité arbitraire et de l’état policier lorsqu’un massif et anxiogène cortège d’hommes en uniforme investit l’espace.
Sur scène, les nombreux interprètes ne sont majoritairement pas des acteurs mais des « participants inavertis », des gens de la rue, issus de la vie réelle, qui ont consenti à se livrer à une expérience radicale dans laquelle ils sont priés d’exécuter volontairement des ordres reçus par oreillette pour interroger notre rapport à l’ordre, à l’obéissance. Ces figurants deviennent alors les acteurs d’une sorte de dictature invisible que porte au plateau le metteur en scène Romeo Castellucci dont le geste esthétique volontiers bousculant donne à voir, d’une manière aussi fascinante que dérangeante, un système social qui repose sur la domination et l’acceptation, l’autorité et la servilité.
Sans un mot – l’image est langage chez Castellucci, comme le son admirablement travaillé – le ballet de policiers impose son inflexible force. Ses membres, dont la particularité est de jouer à tour de rôle les bourreaux et les victimes, s’adonnent rigoureusement à une succession, une accumulation, de gestes et d’actions au cours desquels, même fortement ritualisée, la violence est totalement exacerbée. En témoignent des scènes effarantes d’oppression, d’aliénation, où nombre de sévices physiques et morales, d’effusions de sang, de rafales de tirs d’armes à feu, de coups portés, de corps blessés, maculés, torturés, entre la vie et la mort se laissent contempler et parfois basculent dans l’orgie et la transe bachiques.
A l’hyperréalisme cru des tableaux qu’il présente, Castellucci combine les signes symboliques et allégoriques qui font la singularité et l’universalité de son langage scénique. L’installation éphémère de photographies grand format en noir et blanc renvoie aux origines de l’être, à la naissance des civilisations comme à l’absurdité tragique de la condition humaine et invite à une réflexion sur l’histoire cyclique de la violence. Un jeune homme nu et sans défense cloué au sol, longuement passé à tabac puis baignant dans un fluide à la blancheur létale répandue sur lui en libation, se fait figure sacrificielle mais n’aboutit à aucune délivrance. Même nettoyé à grand coup de jets d’eau cathartiques, le plateau demeure impur. L’apparition finale d’un enfant-sauveur muni à son tour d’une matraque et d’une étoile de shérif confirme l’impossible innocence de nos actes et leur éternel recommencement.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
BROS
Conception et mise en scène: Romeo CastellucciMusique: Scott Gibbons
Mots: Claudia CastellucciRéalisateur adjoint: Filippo Ferraresi
Sculptures et automatismes de scène: studio PlastikartDirecteur technique: Paola Villani
Technicien de scène: Andrei Benchea
Technicien lumière: Andrea Sanson
Technicien du son: Claudio Tortorici
Gardien des costumes: Chiara VenturiniDirecteur de production: Benedetta Briglia
Directeur de production: Giulia Colla
Promotion et distribution: Gilda Biasini
Personnel du siège technique: Carmen Castellucci, Francesca Di Serio, Gionni Gardini,
Eugenio Resta, Caterina Soranzo
Administration: Michela Medri, Elisa Bruno, Simona Barducci
Consultante économique: Massimiliano ColiProduction exécutive: Societas, en coproduction avec:
Kunsten Festival des Arts Bruxelles
Printemps des Comédiens Montpellier 2020
LAC – LuganoArteCultura
Maillon Théâtre de Strasbourg – Scène Européenne
Temporada Alta 2020
MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Manège-Maubeuge Scène nationale
Le phénix Scène nationale pôle européen de création Valenciennes
Théâtre Garonne Scène Européenne, Toulouse
Ruhrfestspiele Recklinghausen
En collaboration avec Spoleto 63 Festival dei 2MondiMC93
Du 11 au 19 février 2022
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