Une performance à la fois filmique et physique dans laquelle Steven Cohen fait corps avec la douleur du monde.
Construit en deux parties données dans deux espaces à la fois proches et bien distincts, Boudoir, que signe Steven Cohen, se propose comme l’exacerbation d’un rapport sensible et organique à l’Histoire et à la mémoire. La pièce s’ouvre sur une série de courts films au centre desquels apparaît le performeur sud-africain, looké avec l’exubérance qu’on lui connaît. Adepte de toutes les métamorphoses et fascinant pour cela, l’artiste se meut en costume et maquillage toujours aussi outranciers que finement imaginés. Sa bouche noir ébène contraste avec sa peau fardée de blanc et partiellement dénudée. Des ailes de papillons recouvrent et allongent ses cils. On le voit déambuler dans un atelier de taxidermie où il cohabite avec de massives carcasses d’animaux naturalisés. Entre la nuit et le jour, il pénètre dans le cimetière juif de Johannesburg pour s’allonger sur la tombe d’une ancêtre inondée de la lumière du soleil levant. Enfin, il se rend dans le camp de concentration de Struthof où il se niche dans un four et se livre à une immolation.
Issu d’une famille de Juifs lituaniens ayant dû fuir l’Holocauste pour trouver refuge dans l’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid, Steven Cohen produit une œuvre obsessionnellement travaillée par la Shoah et qui ne cesse de dialoguer avec la mort. Le voici arborant une couronne sur laquelle se déchiffre « Arbeit macht frei », le slogan nazi inscrit sur les portes des camps d’Auschwitz, Dachau ou Oranienbourg-Sachsenhausen entre autres, ou portant au bout du pied une fine étiquette sur laquelle est écrite la 21e lettre de l’alphabet hébreu, ש, qui signifie « vie ».
Sans transition, le public quitte l’espace de projection pour rejoindre la seconde partie de Boudoir placée entre quatre murs blancs où se laissent découvrir des tapis en peaux de zèbres, d’autres animaux empaillés, des lustres, des candélabres, des miroirs brillant de mille feux. Une quantité d’objets d’un goût douteux et au luxe suranné forme une collection insolite qui rivalise d’étrangeté. Chargé d’intimité comme d’universalité, ce boudoir s’apparente à un cabinet de curiosités qui adopte les traits d’un majestueux mausolée.
L’hôte se présente à la faveur d’une apparition murale digne d’un numéro de prestidigitation. Silhouette aussi fragile que gracile, il se fraye un chemin entre les antiquités exposées et les visiteurs interloqués. Face au public, il regarde et se laisse regarder. Ce moment de grâce offert et partagé repose sur un art inouï de la présence et un inhabituel rapport de proximité qui invitent au recueillement. Sur écran ou en vrai, l’exposition calculée de Steven Cohen peut sans doute heurter, perturber, mais paraît moins provocatrice que véritablement belle et profondément bouleversante. Porté par la force matérielle et symbolique de tout ce qui l’entoure, par la puissance émotionnelle de la musique entre opéra et dream-pop, l’artiste se chausse de cothurnes composés de lourdes mappemondes. Tel un géant fébrile, il marche lentement, difficilement, au bord du déséquilibre, en donnant l’impression de porter le poids du monde pour mieux nous en libérer.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Boudoir
Conception, scénographie et performance Steven Cohen
Costumes Steven Cohen, Clive Rundle
Vidéo Richard Muller
Lumières Yvan LabasseProduction Théâtre Vidy-Lausanne, Cie Steven Cohen
Avec la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
Coproduction Künstlerhaus Mousonturm (Francfort) ; Théâtre National de Bretagne (Rennes) ; TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Les Halles de Schaerbeek (Bruxelles) ; Festival d’Automne à Paris ; BIT Teatergarasjen (Bergen)
Avec le soutien du Collectif FAIR-E / CCN de Rennes et de Bretagne
Coréalisation Les Spectacles Vivants – Centre Pompidou ; Festival d’Automne à ParisDurée : 1h
Vu en novembre 2022 au Théâtre Vidy-Lausanne
Théâtre de la Cité Internationale, Paris, dans le cadre du festival Transforme
du 4 au 6 octobre 2024La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, dans le cadre du festival Transforme
les 18 et 19 janvier 2025Les Subs, Lyon, dans le cadre du festival Transforme
du 14 au 16 mars
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