L’auteur, acteur, metteur en scène et géographe Frédéric Ferrer orchestre une conférence où la scientificité de l’analyse des frontières se mêle à une loufoquerie sous-jacente qui en fait toute la saveur théâtrale.
Qui a dit que le signal d’alarme du réchauffement climatique devait toujours être tiré comme on sonne le glas, avec des discours pré-apocalyptiques à la teneur hautement anxiogène ? Pour prendre le contre-pied de cette tendance de fond, Frédéric Ferrer organise une conférence où le dérèglement scénique, fondé sur des sources documentaires authentiques, est le point d’ancrage, où les frontières de l’humanité se confondent avec les frontières de l’absurdité. Après Chroniques du réchauffement, un cycle artistique sur les dérèglements du monde, et Atlas de l’Anthropocène, une série de cartographies théâtrales qui ausculte des territoires incongrus, l’auteur, acteur, metteur en scène et géographe ouvre une nouvelle série, Borderline(s) investigation, sorte d’enquêtes sur « les frontières et limites du monde ».
Ambitieuse, la première partie de cet exercice est porté par quatre « frontologues », bien décidés à déverser leur savoir. Un rien endimanchés, tous s’appliquent, avec le plus grand sérieux, à livrer les conclusions des travaux du « G.R.A.L. ». Émaillées par des maladresses de langage, parasitées par une traduction simultanée inutile, illustrées par une litanie de présentations PowerPoint forcément trop garnies, leurs interventions reprennent tous les gimmicks de ces colloques où les participants se désespèrent de voir l’intervenant lire ses slides et complexifier inutilement son propos. Conçue en trois temps, cette conférence analyse la notion de frontière, qu’elle soit terrestre ou systémique, et s’intéresse à la démarcation entre la Norvège et la Russie, la France et le Brésil – via la Guyane – et, de façon plus large, à la fin annoncée de notre civilisation.
Comme toujours, la proposition de Frédéric Ferrer s’appuie sur un « travail de terrain » et de vrais travaux de recherche, notamment empruntés à la collapsologie, cette étude de l’effondrement de la civilisation industrielle. Le metteur en scène accouche d’un spectacle d’alerte, grinçant, qui, loin de se résigner, cherche à trouver des solutions face à ce monde qui court, tout en le sachant, à sa perte, au fil de choix, ou de non-choix, dont il tend à démontrer toute l’absurdité. Plutôt que d’opter pour la voie grave et lénifiante, il en prend l’immédiat contre-pied et instille une dose de loufoque de plus en plus affirmée.
Car, peu à peu, tout se dérègle : avec une table qui lâche, un chevalet tombé à la renverse et un projecteur qui se décroche, le décor se fait la malle, quand les quatre intervenants semblent, progressivement, être dépassés par leur propre conférence, comme happés par elle. Plutôt que de lire leurs présentations, les voilà en train d’incarner leur propos, de jouer le rôle de Vikings disparus ou de dessiner un Schtroumpf sur un paperboard. Portés par Karina Beuthe Orr, Guarami Feitosa, Hélène Schwartz et Frédéric Ferrer, tous truculents en chercheurs passionnés, les sujets on-ne-peut-plus sérieux se voient alors interrogés sur un mode pince-sans-rire qui fait tout le sel de cette conférence finalement hors du commun.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Borderline(s) investigation #1
Écriture et mise en scène Frédéric Ferrer
Assistanat à la mise en scène Clarice Boyriven
Avec Karina Beuthe orr, Guarani Feitosa, Frédéric Ferrer, Hélène Schwartz (distribution en cours)
Création lumières et régie générale Paco Galan
Dispositif son et projection Samuel Sérandour
Images Claire Gras
Costumes Anne BuguetProduction Vertical Détour
Coproduction Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, Théâtre-Sénart – Scène nationale, La Villette – Paris
Accueil en résidence d’auteur La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle Soutiens Le Vaisseau – fabrique artistique au Centre de réadaptation de Coubert
Ce spectacle a bénéficié d’un accueil en résidence d’auteur à La Chartreuse -Centre national des écritures du spectacle et d’une aide de la SPEDIDAM, Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes, ainsi que du programme “Résidence d’auteurs en impesanteur» de l’Observatoire de l’Espace, le laboratoire arts-sciences du CNES.”
La compagnie Vertical Détour est conventionnée par la Région Île-de-France, la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et de la Communication
Elle est en résidence au Centre de Réadaptation de Coubert – établissement de l’UGECAM Île-de-France et soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et de la Communication, l’Agence Régionale de Santé d’Île-de-France – ministère des Solidarités et de la Santé, dans le cadre du programme Culture et Santé.
Durée : 1h40Théâtre de la Villette
Du 4 au 8 décembre 2018Le Lieu Unique, Nantes
Les 12 et 13 décembre
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