« Bluff ! », la vérité du cirque a une tête de culbuto

© Baptiste Goulay

Au festival Le Mans fait son cirque porté par Le Plongeoir – Pôle National Cirque (72), dont la 23^ème édition se tient du 22 au 30 juin 2024, 100 issues est venue avec son chapiteau et son Bluff !, où elle déploie autour d’un culbuto géant un bel univers protéiforme où tout semble toujours sur le point de s’écrouler, de rire et de fragilité.

À l’entrée du chapiteau rouge de 100 issues, l’un de ses membres propose à chaque spectateur un petit commerce qui en dit long du spectacle qui bientôt va commencer, ou qui l’a déjà fait. Grâce à ce seuil, la compagnie pose son désir de jouer avec les codes de la représentation, de brouiller les frontières entre l’espace-temps du spectacle et celui du quotidien ou de la vie du festival où la compagnie s’inscrit avec son Bluff !. Quand un autocollant se met à valoir un mélange de rhum et de jus de fruits, c’est que l’on quitte notre logique marchande habituelle, celle qui nous a menés jusqu’au spectacle en nous permettant d’acquérir le billet nécessaire, pour s’initier à une autre façon d’appréhender les choses, plus libre, plus punk. Avant de s’exprimer par le corps et l’acrobatie, cet état d’esprit s’affirme sous le chapiteau où nous sommes désormais installés par une musique typée rock, dont l’une des sources – en plus de toutes les enceintes réparties de manière à occuper homogènement tout le cercle – nous est cachée. Soit l’un des dix interprètes de Bluff !, qui ne nous apparaît guitare à la main qu’une fois que commence à descendre jusque sur la piste la structure sur laquelle il est perché : une sorte de culbuto géant qui fait dès lors office pour le groupe d’agrès principal autant que de piste. En ces instants d’introduction, la bande des dix est dispersée et vaque à de petites activités entre les tables et les chaises qui donnent à la piste une allure de bar ou de terrasse où il fait bon paresser. C’est le calme avant la tempête, qui fait bientôt du culbuto un rafiot en proie à de dangereuses secousses.

Si depuis sa création il y a une douzaine d’années par Valo Hollenstein, Vincent Maggioni et Camille Francisci, avec d’emblée un lien fort entre cirque et musique, 100 issues a déjà cherché dans certains de ses spectacles à mettre ses talents variés au service de sujets précis – la mort par exemple, dans sa création précédente Don’t Feed The Alligators (2019) –, tel n’est pas tout à fait le cas dans Bluff !. Si des récits s’invitent dans les explorations acrobatiques et musicales des artistes qui cosignent la mise en scène orchestrée par Cyril Pernot assisté de Jennifer Leporcher, c’est dans une forme d’extension de l’agrès qu’ils ont conçu pour leur usage personnel. Ce qui se dit dans ce spectacle ressemble en effet au grand culbuto que l’on voit passer par tous les états possibles, depuis l’immobilité parfaite jusqu’à l’ébranlement qui jette tout le monde à bâbord. Les propos tenus dans Bluff ! n’ont de naïf, de spontané et détendu que l’apparence. Ils sont l’un des nombreux éléments d’un ensemble composite qui peinerait à exister sans l’une de ses parties. En choisissant de faire parler celles et ceux de l’équipe qui ne viennent pas du cirque, 100 issues exprime avant toute autre chose la singularité de ce milieu, sa pratique quotidienne du risque et son sens très fort du collectif. Après avoir tenté d’installer sa batterie sur le culbuto, la musicienne Pauline Bourguère alias « Popo » ouvre en effet la vanne à paroles. Aussi douée avec l’humour qu’avec les différents instruments qu’elle utilise tout au long du spectacle, elle déplace notre regard depuis ce qui se passe de plus ou moins spectaculaire sur la surface plane de l’agrès jusqu’à divers endroits du chapiteau, jusqu’à ses fondements qui se révèlent être l’objet central de Bluff !.

Le musicien et comédien Romain Pachot dit « roro » qui se décrit ensuite comme l’homme à tout faire de 100 issues, le danseur et comédien Lorca Renoux, ou encore la clown et comédienne Laurie Roger dont l’atèle à la jambe est un outil comique efficace y vont eux aussi de leur témoignage sur ce qu’est faire cirque, en particulier sous ce chapiteau, avec cette équipe. Ce qu’il y a d’extraordinaire, de fou dans tout aventure circassienne nous apparaît non seulement dans ces temps de vraie-fausse confession – comme le titre du spectacle l’indique, on devine qu’il y a autant de mensonges que de vérités –, mais aussi dans la grâce avec laquelle ils cohabitent avec tout le reste. S’ils s’entrechoquent sans cesse, s’interrompent volontiers les uns les autres dans un désordre qui met à mal la logique classique du numéro sans s’en détacher tout à fait, les moments collectifs et les solos sur culbuto, le passage de trapèze d’Alexia Fremaux, le morceau de piano littéralement suspendu d’Arnaud Gasselin aka Floki et toutes les autres composantes du débordant Bluff ! le font en effet au nom d’un amour évident pour l’expérience circassienne. En mettant sur un même plan la recherche d’un boulon imaginaire et des chorégraphies complexes sur une structure elle-même sophistiquée, qui en tant micro-piste est le lieu d’une forme de mise en abîme où tous les renversements sont permis, 100 issues exprime un goût pour les logiques atypiques d’autant plus réjouissant que son spectacle s’adresse vraiment à tous.

Avec Bluff !, 100 issues s’inscrit dans lignée des compagnies de cirque comme le Cheptel Aleïkoum qui la soutient, Inextremiste, XY, ou encore les Galapiats, qui parviennent à allier l’exigence de la recherche et la diversité des disciplines au spectaculaire. Évitant aussi bien l’écueil, fréquent dans le cirque qui depuis quelques années prend souvent la parole, du mauvais théâtre qui formule ce que dit déjà le corps, que celui de la performance trop tournée vers l’exploit pour toucher, la compagnie se fraie un chemin à elle entre plusieurs tendances du cirque contemporain. Tout en montrant qu’il est maintes façons possibles d’habiter le territoire des arts de la piste, 100 issues le fait avec l’accent punk-rock qu’elle cultive depuis ses débuts.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Bluff !

Mise en scène collective orchestrée par Cyril Pernot assisté de Jennifer Leporcher. Interprétation : Pauline Bourguere, Alexia Fremaux, Arnaud Gasselin, Valo Hollenstein, Cléo Lanfranchi, Gaël Leray, Romain Pachot, Simon Remaud, Lorca Renoux, Laurie Roger.

Machine : Gaël Leray.

Création musicale et sonore : Pauline Bourguere, Arnaud Gasselin, Romain Pachot, Simon Remaud.

Scénographie : Valo Hollenstein, Simon Remaud, Gaël Leray.

Costumes : Éloïse Simonis.

Régie générale : Visnja Vidovic.

Création lumière, régie son et lumière : Guillaume Desnoulet.

Administration : Corinne Coupey.

Diffusion : Grit Krausse.

Communication : Vanessa Dutrieux.

Production : Compagnie 100 Issues.

Soutiens : Le Cheptel Aleïkoum ; Compagnie Escale.

Résidences : Compagnie Off, Point Haut, Saint-Pierre-des-Corps (37) ; Le 37e parallèle, Mettray (37) ; La Lisière, Bruyères-le-Chatel (91).

Aides à la création : DRAC Centre-Val-de-Loire ; Conseil régional Centre-Val-de-Loire ; Conseil départemental d’Indre-et-Loire.

Pré-achats : La Lisière, Bruyères-le-Châtel (91) ; La Halle aux Grains, Scène nationale de Blois (41).

Durée : 1h20

Vu le 22 juin 2024 dans le cadre du festival Le Mans fait son cirque, 23^ème édition

Festival Villeneuve en Scène – Villeneuve-lès-Avignon (30)
Du 8 au 20 juillet 2024

Festival Équilibr, Créature, Créatrices – Saint-Jean de Védas (34) (En option)
Du 10 au 12 octobre 2024

Festival Second geste – Saint-Pair-sur-Mer (50)
Du 18 au 20 octobre 2024