La chorégraphe Bintou Dembélé ouvre la 77e édition du Festival d’Avignon avec G.R.O.O.V.E, une déambulation pluridisciplinaire où se mêlent danse, chant et musique. L’oeuvre d’une artiste engagée, dont les spectacles sont ancrés dans l’actualité.
La 77e édition du Festival d’Avignon s’ouvre avec de la danse hip-hop. Est-ce le signe que les frontières bougent dans le spectacle vivant ?
On ouvre avec de la danse, avec du chant, avec de la musique, avec l’idée de se célébrer, envers et contre tout, grâce à Tiago Rodrigues. Je pense qu’un livre se ferme et qu’un autre s’ouvre. Et j’espère une ouverture encore plus grande des frontières.
Comment avez-vous conçu ce spectacle dont la forme va évoluer dans chaque ville où il sera programmé ?
Il me tient à cœur d’essayer de trouver une autre forme langagière avec des traversées qui rencontrent les publics. On est dans une forme de rituel qui se veut d’abord être au fait de l’actualité, et qui entend conter les récits et l’histoire d’une autre façon. On est vraiment là pour essayer d’avoir un frottement avec l’actualité, pour la révéler et la rendre poétique. Avec l’envie de dénouer des liens, des tensions, sans occulter les problèmes, mais plutôt en les rendant audibles, palpables. Le lieu importe peu. J’aime cette idée de traversée avec le public dans ce qu’elle a de joyeuse et de lumineuse.
Et dans l’idée de traversée, il y a aussi cette idée de ne pas rester dans un théâtre, de sortir en dehors de ses murs…
Le mouvement est nécessaire. Nous sommes plusieurs artistes à l’opérer pour que le public se réinvente aussi. Peut-être que le mot spectateur/spectatrice n’est plus juste et qu’il faut le repenser. On va en chercher d’autres. On va vers eux, on les ramène avec nous et on s’adresse à eux. J’espère que ces frontières-là vont pouvoir se délier.
Vous avez fait entrer le hip-hop à l’Opéra de Paris avec Les Indes galantes. Allez-vous faire référence à ce spectacle ?
Il y aura effectivement un peu de cette traversée de l’Opéra Bastille car je suis à l’écoute de la frustration des gens qui n’ont pas pu assister à ce spectacle. On est là pour essayer de converser, d’interroger encore cette œuvre coloniale et la portée qu’elle a aujourd’hui, de voir comment elle entre en résonance avec notre époque.
Vous évoquez le colonialisme. Le marronnage est toujours au cœur de vos spectacles…
C’est une façon de trouver cette langue qui nous est propre. On souhaite lui donner du sens, qu’elle soit audible, que le public puisse l’entendre et se l’approprier aussi. Donc, voguing, krump, électro, hip-hop, waacking sont avant tout des cultures populaires. Elles ne sont pas hors sol, elles sont remplies d’une histoire. Je souhaite créer le lien entre tous ces rhizomes, entre toutes ces strates pour les relier au présent, et les faire résonner dans le futur. La question du répertoire dans le spectacle vivant est peut-être sclérosée. Il faut repenser tout le temps le siècle des Lumières.
Vous disiez que vos spectacles sont ancrés dans l’actualité. Elle est dramatique depuis plusieurs jours avec la mort de Nahel, et les émeutes qui ont suivi. Comment avez-vous vécu ces événements ?
En ce moment, j’ai mal à ma France, j’ai mal à ma culture française. J’aurais aimé entendre des voix. Toutes ces voix qui questionnent, qui réfléchissent, qui débattent, j’aurais aimé les entendre. J’aimerais qu’elles prennent position ; or, je ne les entends pas. Ce silence est inquiétant, très inquiétant et prend parti. Il y a une division. Je ne sais pas s’il faut aller très vite. Un retour au calme ? Peut-être qu’il faut traverser le chaos. Et que de ce chaos là, renaisse et jaillisse quelque chose qui nous permette de repartir.
Les spectateurs vont donc se rassembler autour de votre spectacle. Est-ce qu’il s’agit de l’acte d’une chorégraphe engagée ?
Je suis une artiste dans la cité et j’invite les gens à être autour du feu pour se célébrer, pour se raconter, pour être à l’écoute des uns et des autres. C’est ce que j’ai retenu des Indes galantes. Ce sont de jeunes gens qui dansent au dessus d’un volcan en éruption. Mais il n’est pas question ici de se brûler. Il est question d’une autre lumière, d’une autre façon de voir la lumière, de voir les nuances et les endroits d’ombre. Mais ces écoutes là ne sont pas suffisamment audibles aujourd’hui dans le monde du spectacle.
Propos recueillis par Stéphane Capron – www.sceneweb.fr
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