Barrie Kosky fait entrer au répertoire de l’Opéra National de Paris Le Pince Igor de Borodine qu’il plonge impitoyablement dans un bain de sang à la violence et la sauvagerie exacerbées. Vaillamment interprétée, la pièce est d’une folle intensité.
Rarement donné, l’opéra de Borodine regorge de luxuriantes beautés musicales, qu’elles soient orchestrales ou vocales. Ses grands airs comme les nombreuses parties dédiées au Chœur sont magnifiquement poignants. Côté scénique, il offre également une partition inspirante avec de forts enjeux. C’est donc un bonheur de pouvoir découvrir Le Prince Igor à Paris. L’oeuvre bénéficie déjà d’une version de référence, celle de Dmitri Tcherniakov, présentée sur les scènes de New York et d’Amsterdam. De toute évidence, celle de Barrie Kosky va durablement marquer les esprits.
Sur le vaste plateau de la Bastille transformé en villa de luxe avec piscine, puis en salle de torture, puis en tronçon de route abandonnée, on retrouve dans le rôle-titre, Ildar Abdrazakov, un timbre mâle et ambré, un chant somptueux et généreux, une incarnation pleine d’autorité mais non dépourvue de douceur. La basse russe s’était déjà illustrée sur cette même scène dans un Boris Godounov charismatique, très convaincant pour ses qualités dramatiques car redoublant de vulnérabilité effarante. Ici, il est encore un cran au-dessus en Prince Igor ruisselant de sang, guerrier solide et meurtri, parti au front malgré l’augure fatal sur les terres polovtsiennes où il est détenu prisonnier.
Autour de lui, un impeccable plateau vocal est illuminé par la présence de deux femmes : Anita Rachvelishvili, phénomène d’ampleur vocal au timbre grave et chaud, enveloppante et renversante dans le trop court rôle de Kontchakovna qui apparaît comme dans un songe et Elena Stikhina, aussi puissante que bouleversante dans l’affliction et dans la détermination de la pauvre Iaroslavna. Captif amouraché, Pavel Cernoch émeut dans Vladimir malgré une évidente tension dans la voix et quelques accents rugueux qui heurte la clarté de son chant, Dmitry Ulyanov campe un Galitski bien en verve tout comme ses hilarants acolytes Adam Palka et Andrei Popov.
Achevée après la mort de son compositeur en 1887, l’oeuvre est, comme le veut l’usage, toujours un peu remaniée. La version défendue par Philippe Jordan se voit débarrassée des ajouts posthumes orchestrés par Rimski-Korsakov et Glazounov et donc amputée de son acte III pour parvenir à une durée convenable de représentation et surtout garantir la cohérence musicale. Sous la direction du chef plus lyrique et expansif qu’à l’accoutumée, l’orchestre sonne beau et grand. Il offre avant le dernier acte, une ouverture luxueusement rutilante et miroitante.
Si tout chante l’âme slave dans l’ouvrage qui relate les anti-exploits du belliqueux prince Igor en pleine Russie moyenâgeuse, Barrie Kosky le dépouille de toute couleur locale et folklorique. A l’exception d’un édifice orthodoxe brillant de mille feux au Prologue, sa mise en scène écarte tout orientalisme au profit d’un cadre contemporain très ironique et assez lugubre où s’affichent sans complexe violence et luxure au cours de tableaux de larges dimensions mis en scène avec une formidable vivacité. Koskie passe avec beaucoup d’aisance du grotesque au sublime, de la satire au drame. Il signe une dramaturgie solide en crédibilité et en puissance théâtrale. Il anime les foules, électrise les corps. Sans foi ni morale, une élite militaire bling-bling en treillis et slip de bain assiège le royaume d’Igor avec une grossièreté décomplexée tandis que le « Palais » de khan Kontchak est un froid sous-sol aux canalisations et fils électriques apparents. C’est en errance sur un simple bord de route dans la nuit noire et brumeuse que se retrouveront les amants éperdus mais vibrants.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LE PRINCE IGOR
Opéra Alexandre Borodine
Opéra en deux parties, 1890Orchestration du second Monologue d’Igor (n°26b) de Pavel Smelkov
Musique :
Alexandre Borodine – (Editions Belaieff)Livret :
Alexandre Borodine – D’après Vladimir Stassov, lui-même adapté du Dit de l’ost d’IgorDirection musicale :
Philippe JordanMise en scène :
Barrie KoskyDécors :
Rufus DidwiszusCostumes :
Klaus BrunsLumières :
Franck EvinChorégraphie :
Otto PichlerChef des Choeurs
José Luis BassoOrchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Prince Igor :
Evgeny NikitinIaroslavina :
Elena StikhinaVladimir :
Pavel ČernochPrince Galitski :
Dmitry UlyanovKontchak :
Dimitry IvashchenkoKontchakovna :
Anita RachvelishviliSkoula :
Adam PalkaIerochka :
Andrei PopovOvlour :
Vasily EfimovLa Nourrice :
Marina HallerUne Jeune Polovtsienne :
Irina Kopylova3h45 avec 1 entracte
Opéra Bastille – du 25 novembre au 26 décembre 2019
Pitoyable (spectacle et recension): le Prince Igor de Borodine, esquinté et arrangé en sauce politically correct pour les bobos intellos par un australien qui n’a rien compris au monument épique du Dit du Prince Igor. Comme si le massacre opéré par Tcherniakov ne suffisait, il s’y est ajouté celui là.
Le monsieur ferait mieux de retourner et s’occuper de kangourous, et ouvrir un livre d’histoire, ce ne serait pas du luxe.