Restituant, dans le cadre du 77e Festival d’Avignon, la confrontation de 1965 entre l’écrivain américain James Baldwin et l’intellectuel conservateur William F. Buckley Jr., la compagnie new-yorkaise Elevator Repair Service propose un spectacle quasi-documentaire sans grand apport théâtral.
La confrontation guette à Avignon. Les membres d’ERS, pour Elevator Repair Service, compagnie basée à New-York, investissent jusqu’au 11 juillet le gymnase du Lycée Mistral avec une question qui tourmente le monde politique outre-Atlantique depuis des décennies : « Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain ? ». Le sujet n’est pas des plus légers, charriant nombre de représentations, de violences, de fantasmes et de discriminations, et nécessite de ce fait une argumentation fournie pour en définir le plus justement possible les contours.
Devant la tribune divisée en trois gradins, disposés de part et d’autre de la scène, deux pupitres se font face. Deux chaises et deux verres d’eau complètent ce décor d’une grande sobriété. Si le débat est toujours d’actualité, les arguments, eux, datent de 1965, l’année où l’écrivain américain James Baldwin confronta l’intellectuel conservateur William F. Buckley Jr. au sein de l’amical des étudiants de l’université de Cambridge. Très peu de modifications ont été apportées au texte original. Le spectacle restitue de manière quasi-documentaire les termes exacts dont certains, utilisés pour qualifier les Noirs-Américains, sont aujourd’hui bannis du langage car jugés trop offensants. Seuls quelques changements dans la présentation des débatteurs ont été opérés. Pour le reste, le public vit peu ou prou le même débat ayant eu lieu 57 ans plus tôt.
Pourquoi dès lors s’emparer du médium théâtre pour reproduire un face-à-face filmé par la télévision et disponible en libre-accès sur internet ? La question est légitime. Les membres d’Elevator Repair Service, avec en premier lieu Greig Sargeant, qui a porté ce projet, n’esthétisent pas le propos, n’y apportent pas de dimension théâtrale. Il faut donc prendre Baldwin and Buckley at Cambridge pour ce qu’il est : la restitution dans le présent d’un événement passé, et les questionnements qu’elle soulève.
Eclairé tout au long de la représentation, le public est invité à plonger dans ce vaste champ réflexif où croissent de puissants arguments, contraint de ne rien manquer de cette joute verbale portée avec justesse et mesure par Ben Williams, dans le rôle de William F. Buckley Jr., et Greig Sargeant, qui incarne la figure de l’écrivain noir américain et homosexuel. Esclavage, racisme, pauvreté… James Baldwin dépeint une Amérique peu encline à ménager une place à une population représentant pourtant un habitant sur neuf En face, son adversaire, blanc, s’évertue à défendre une société ouverte à tous dans laquelle chacun peut réussir s’il s’en donne les moyens, rejetant ainsi le racisme systémique des institutions américaines.
La représentation d’un tel débat au théâtre gagne son intérêt en ce qu’elle permet de voir et vivre les réactions des deux interlocuteurs. Affichant un flegme remarquable, James Baldwin écoute sans broncher les arguments de William F. Buckley Jr., jusqu’au verdict final, désignant avec une large majorité l’un des deux débatteurs vainqueur de ce duel mémorable. S’ensuit une courte scène, d’à peine dix minutes, où James Baldwin et son amie la dramaturge et activiste Lorraine Hansberry (Apris Matthis) – première Afro-Américaine à avoir joué une pièce à Broadway – discutent notamment de l’adaptation du Bruit et la Fureur de William Falkner par ERS, où aucun Noir n’était présent sur scène. Une conversation aux accents volontairement provocateurs pour illustrer une prise de conscience tardive des institutions et en particulier celles du théâtre.
On peut donc s’interroger sur la pertinence de programmer une proposition pareille dans l’écrin du Festival d’Avignon, si ce n’est pour le sujet qu’elle porte sur scène. Mais Baldwin and Buckley at Cambridge a le mérite de rappeler l’inertie d’un combat porté depuis de longues années et qui peine encore à s’imposer pleinement dans la société, qu’elle soit américaine ou française.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Baldwin and Buckley at Cambridge
Texte James Baldwin, William F. Buckley Jr., Lorraine Hansberry
Un projet de Greig Sargeant, Elevator Repair Service
Avec April Matthis, Gavin Price, Greig Sargeant, Christopher-Rashee Stevenson, Ben Williams
Mise en scène John Collins
Costumes Jessica Jahn
Lumière Alan C. Edwards
Son Ben Williams
Collaboration à la scénographie dots
Perruques Earon Chew Nealey
Assistanat à la mise en scène Maurina Lioce
Traduction pour le surtitrage Valentine HaussoulierProduction Elevator Repair Service – produced for On Demand Streaming by Montclair State University for PEAK Performances (New Jersey, États-Unis)
Avec le soutien de Villa Albertine (FACE Foundation), National Endowment for the Arts, the New York State Council on the Arts with the Office of the Governor and the New York State Legislature, the New York City Department of Cultural Affairs in partnership with the City Council. This engagement is supported by Mid Atlantic Arts through USArtists International in partnership with the National Endowment for the Arts and the Mellon FoundationElevator Repair Service reçoit le soutien de The Dorothy Strelsin Foundation, Edward T. Cone Foundation, The Fan Fox and Leslie R. Samuels Foundation for Contemporary Arts, The Harold and Mimi Steinberg Charitable Trust, Howard Gilman Foundation, The J.M. Kaplan Fund, Jockey Hollow Foundation, Lucille Lortel Foundation, The New York Community Trust, The O’Grady Foundation, Scherman Foundation, Select Equity Group Foundation, and The Shubert Foundation.
Elevator Repair Service est membre de The Alliance of Resident Theatres (New York).Durée : 1h
Festival d’Avignon 2023
Gymnase du Lycée Mistral
le 7 juillet, à 17h, et les 9, 10 et 11 juillet, à 11h et 17h
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