Au Théâtre de la Bastille, dont elle est une habituée, Nathalie Béasse présente le dernier résultat d’une recherche qui mêle les corps et les objets pour créer des mondes oniriques. Variation sur la chute et le rire, Aux éclats… nous mène au cœur d’une démarche fondée sur la rencontre du dissemblable.
Qui a suivi l’Occupation du Théâtre de la Bastille par Nathalie Béasse en mai-juin 2019 s’en souvient par bribes, par Éclats, titre de la création sur laquelle travaillait alors l’artiste, et qu’elle présente aujourd’hui en ouverture de saison du même lieu. Parmi les images ou tableaux vivants – on peut difficilement parle de « scènes » chez Nathalie Béasse, dont le travail est toujours à la lisière de l’installation – qu’elle testait alors devant les curieux venus la découvrir en plein laboratoire, il y avait celle qui ouvre la version finale de la pièce. C’est une image sans personnes. Un moment où l’espace du plateau apparaît dans toute sa singularité, dans toute sa densité. On retrouve l’atmosphère de chantier du précédent spectacle de l’artiste, Le bruit des arbres qui tombent (2017) : des bruits de perceuse, des coups de marteau nous parviennent sans qu’on puisse savoir précisément d’où. On entend aussi quelques voix. Des bricoleurs râleurs, qui déplorent des catastrophes dont les conséquences débordent bientôt sur la scène. Poussière, fumée, coulée blanche sont les premiers événements de Aux éclats... Alors bien sûr, on s’en souvient.
Lorsque l’humain fait son entrée, sous les traits d’Étienne Fague, Clément Goupille et Stéphane Imbert – trois compagnons de longue date de l’artiste –, il ne prend pas le dessus sur les matières ni sur les objets. C’est là l’une des grandes originalités de l’univers de Nathalie Béasse, pour qui le corps et la parole ne sont ni plus ni moins dignes d’intérêt, donc de théâtre, que ce qui n’y a habituellement pas droit de cité, ou alors en mode mineur, dans un décor ou une coulisse. Cette cohabitation des hommes et des choses n’est pas pour autant le sujet de Aux éclats…, pas plus que des autres spectacles créés par Nathalie Béasse depuis la fondation de sa compagnie en 1999. Tout comme il est inapproprié de désigner par le terme de « scène » ce qu’elle fait advenir au plateau, on n’emploiera d’ailleurs qu’avec précautions celui de « sujet ». Il serait plus juste de parler de « couleur », ou peut-être d’« environnement », qui forment en l’occurrence une « suite de variations sur la chute et le rire ».
Les trois gus de Aux éclats… ont de faux airs de Buster Keaton, référence assumée par Nathalie Béasse, qui dit aimer chez lui « l’acrobatie, le rapport au corps, aux objets, aux éléments, aux paysages ; le vent, les chutes, les maisons qui tournent, les parois qui tombent, les courses qui durent, la répétition aussi, cette faculté à aller au-delà des limites ». Autant d’éléments que l’on trouve en effet dans la pièce, mais agencés d’une manière bien personnelle. Avec des espaces vides, des béances petites et grandes, qui permettent à chacun de se construire s’il le souhaite son récit. Entre leurs pitreries qui laissent souvent deviner des tristesses, les trois messieurs catastrophe ne cherchent pas à faire de liens. Ils passent d’un numéro de magie dont tous les trucages sont visibles à un faux dîner sur table fuyante sans se formaliser pour ceux qui les regardent. Ils dansent un rock à trois, à moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de punching-ball humain ou d’un autre jeu dont les règles nous échappent. De même que nous échappe l’empressement des trois mêmes bonhommes à enfiler un maximum de vêtements en un minimum de temps, ou leurs jeux avec d’affreux masques pour enfants.
Aux éclats… a beau se jouer subtilement des codes du théâtre, il entretient un rapport fort avec la gaminerie. En faisant entrer sur scène des morceaux du monde extérieur, dans ce qu’il a de plus brut, de plus prosaïque, Nathalie Béasse orchestre une série de rencontres improbables qui finissent toutes de la même manière : par un effondrement au sens propre ou figuré. Étienne Fague, Clément Goupille et Stéphane Imbert sont des hommes-enfants qui font du théâtre comme on joue au Badamoum alors qu’on a passé l’âge. Avec les moyens du bord qui sont à la hauteur de leurs médiocres compétences, ils bricolent des choses et des histoires qui s’effilochent ou se cassent la figure au bout de quelques minutes. Ces recommencements multiples sont d’autant plus jouissifs qu’ils résonnent avec le contexte actuel. Ils invitent à la joie, au rire et au rêve malgré tout.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Aux éclats…
Conception, mise en scène et scénographie
Nathalie Béasse
Avec
Étienne Fague
Clément Goupille
Stéphane Imbert
Lumières
Natalie Gallard
Musique originale
Julien Parsy
Régie son
Tal Agam
Nicolas Lespagnol-Rizzi
Régie plateau
Max Belland
Construction décor
Julien Boizard
Corine Forget
Philippe Ragot
Administration et production Lili L’Herroux
Production et diffusion Karine Bellanger
Coproduction
Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale, Le Quai – Centre dramatique national Angers / Pays de la Loire, Théâtre de la Bastille, Théâtre de Lorient – Centre dramatique national et La Halle aux grains – Scène nationale de Blois.Soutien en résidence
Le Théâtre – Scène nationale de Saint- Nazaire, Centre culturel ABC – La Chaux-de-Fonds (Suisse), Le Cargo (Segré) et Centre national de danse contemporaine d’Angers.La compagnie nathalie béasse est conventionnée par l’État, Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, par le Conseil régional des Pays de la Loire et reçoit le soutien de la Ville d’Angers.
Nathalie Béasse est artiste associée à la Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale.
Durée : 1h
Théâtre de la Bastille
Du 28 septembre au 14 octobre 2020
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