Si le budget culture-patrimoine 2025 de la Région Auvergne-Rhône-Alpes est en légère hausse par rapport à celui de 2024, il s’avère que c’est le volet patrimoine qui en bénéficie au détriment de celui de la culture et de la création qui perd 5 millions d’euros. Depuis les commissions culture de février et mars, les couperets tombent sur les artistes et les lieux. Les Scènes découvertes lyonnaises consacrées à l’émergence perdent la totalité de leurs dotations régionales et des compagnies historiques, comme celles de Maguy Marin, de Jean-Claude Gallotta ou des Nouveaux Nez, sont également touchées. Décryptage.
L’opacité tient lieu de feuille de route à la Région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA). Depuis le vote du budget 2025 en décembre dernier, les couperets tombent au fil des commissions culture – organisées le 6 février et le 20 mars – dont l’ordre du jour n’est pas établi en amont – en règle générale, l’opposition n’en est informée que la veille, ce qui lui laisse bien peu de temps pour y participer activement. Pourtant, les subsides des champs cumulés de la culture et du patrimoine ont augmenté de 8,5 millions d’euros, pour un budget total de 89 millions, mais c’est surtout le volet patrimoine qui progresse, de 34%, contre 11% pour la culture. Et concernant la culture, comme le patrimoine, c’est en investissement que la part augmente fortement, de 33%. Résultat, la part consacrée au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l’enseignement artistique perd 12%, soit 5,2 millions d’euros. Et c’est là que le bât blesse.
Certains lieux culturels ont ainsi complètement perdu leur subvention régionale. La Manufacture des arts d’Aurillac, le Footsbarn de Hérisson, le Stud et Le Prunier sauvage de Grenoble ne figurent pas dans les tableaux de février qui répertorient les structures les mieux subventionnées. Auront-ils des subsides plus tard ? Nul ne sait pour l’instant si un rattrapage de ce type existera. Le CDCN de Grenoble, Le Pacifique, perd quant à lui 15 000 euros, et ne touchera plus que 30 000 euros de la part de la Région en 2025, contre 67 000 en 2021. Les Scènes découvertes de Lyon – un label créé par la Ville en 2002 et rejoint peu après par l’État par l’intermédiaire de la DRAC et de la Région – se sont aussi vues couper les vannes du financement régional, et c’est irréversible pour 2025. Elles ont reçu vendredi 28 mars un courrier en ce sens, signé de la directrice générale adjointe de la présidence, et non pas de la vice-présidente en charge de la culture et du patrimoine, Sophie Rotkopf.
Pour les théâtres des Clochards Célestes et de l’Élysée, soumis au même régime, la part de la Région représentait « seulement » 10% à 15% de leur budget respectif, mais ce sont immédiatement un poste à mi-temps et des heures d’intermittence qui s’envolent, ainsi que des co-productions – déjà faiblement dotées – qui s’arrêtent pour l’un, et le renoncement à sortir une plaquette de saison et la fin des défraiements pour les compagnies non lyonnaises – déjà très basses, de 50 euros par personne – pour l’autre. Même arrêt subi pour les salles axées sur l’émergence musicale, comme À Thou Bout d’Chant, ou les arts de la rue. Le Nid de Poule devra ainsi se passer des 12 500 euros attribués en 2024, alors que son festival La Basse-cour commence à Lyon le 26 avril prochain pour une durée de deux mois. Trois personnes au lieu de quatre, comme initialement prévu, s’occuperont d’accueillir les artistes et les 9 000 spectateurs.
« Il n’y a pas d’opposition entre la ruralité et la ville »
L’école de cirque de Lyon portée par la MJC de Ménival perd aussi la totalité de sa subvention de 60 000 euros, alors que 80% des élèves de chaque promotion accèdent ensuite aux écoles nationales supérieures. Elle a rendu public lundi 31 mars un communiqué dans lequel elle rapporte que cette annonce laisse « l’équipe pédagogique de plus de 30 personnes dans une situation inextricable » et « met un coup d’arrêt à plus de 20 ans de soutien et condamne à court terme [ses] activités ». De nombreux·ses anciens élèves« sont aujourd’hui des artistes installés en Région AURA et […] participent activement au développement des arts du cirque sur le territoire régional ». Et de poursuivre : « Nous savons aujourd’hui que cet art, de par sa dimension populaire, irrigue de nombreuses politiques publiques dans les domaines culturel, éducatif et social. Ce sont 896 représentations de cirque, réunissant 292 344 spectateurs, dont 13 958 scolaires, qui se sont déroulées sur le territoire régional, selon une étude menée par le réseau Cirqu’Aura en 2021 ». Pour ces raisons, l’école demande une « reprise immédiate du dialogue avec les services de la Région afin d’envisager ensemble des pistes de collaborations constructives ».
Selon Audrey Hénocque, première adjointe de la Ville de Lyon, en charge des finances, des grands événements et de la culture, ce retrait est d’autant plus incompréhensible que « la professionnalisation des filières est une compétence de la Région ». Par ailleurs, l’adjointe se dit un peu « choquée » par cette décision unilatérale. « C’est ensemble, avec la Région, que nous avons choisi les huit Scènes découvertes qu’elle cofinance pour six d’entre elles ». Ces lieux sont, certes, situés à Lyon, mais, rappelle-t-elle, ils « soutiennent en grande partie des artistes de la région », ce qui « leur permet ensuite de grandir et de poursuivre leur parcours artistique sur le reste du territoire ». « Il n’y a pas d’opposition entre la ruralité et la ville », note-t-elle encore, tandis que la Région défend depuis des années de soutenir la culture en ruralité, comme la ministre de la Culture Rachida Dati l’a aussi fait au niveau national avec le plan Culture et ruralité dévoilé l’an dernier. Dans le courrier adressé aux Scènes découvertes, la Région réitère d’ailleurs sa « priorité » : « accompagner les structures qui développent des actions favorisant la diffusion vers tous les publics, notamment en milieu rural, dans une dynamique d’’aller vers’ ». À ce jour, Sophie Rotkopf n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
De surcroît, Audrey Hénocque s’inquiète que « depuis quelques années, la Région refuse de signer les conventions pluriannuelles et d’être multipartite sur de nombreux projets. Elle fait toujours sa convention à part pour ne pas être liée ». « Il y a une méconnaissance ou un désintérêt par rapport au fonctionnement réel de la culture », regrette-t-elle encore, et d’ajouter : « Une Région doit travailler pour l’ensemble de ses habitant·es. Lyon est une ville de 500 000 personnes, c’est une partie importante du territoire, et il y a aussi ici des gens éloignés de la culture, dans des quartiers populaires, précaires, l’’aller vers’ les concerne. Pourquoi ne bénéficieraient-ils pas de la création, de l’éducation artistique et culturelle, et de la diffusion ? ». Quant à savoir ce que peut la Ville, il est encore un peu tôt, à en croire l’élue : « Je ne peux pas répondre à chaud. On est en soutien, on va devoir y travailler avec la DRAC et la Métropole. Savoir si on peut augmenter un peu les subventions est très difficile. Nous sommes dans une période où les collectivités connaissent une baisse de recettes très importante ».
Maguy Marin et Jean-Claude Gallotta dans le viseur
Côté compagnies, le constat n’est guère plus reluisant. Trente-huit équipes artistiques et ensembles subissent des baisses, dont onze perdent l’intégralité de leurs subventions. 2,5 millions d’euros leur étaient alloués en 2024, c’est 1,9 million cette année, soit une baisse de 553 000 euros (22%). Parmi les troupes qui perdent tout, celles de Maguy Marin et Jean-Claude Gallotta, absentes des tableaux de la dernière commission. Idem pour celle des Nouveaux Nez d’Alain Reynaud, également directeur du Pôle national de cirque de la Cascade et du Festival d’Alba, qui avait perçu 25 000 euros en 2024 – les financements du lieu sont en revanche maintenus. Les arts de la rue n’échappent pas à la casse : la compagnie Kumulus et sa subvention régionale de 15 000 euros en 2024 ont également disparu du tableau. La liste des sortants est longue, celle des entrants beaucoup moins. Parmi eux, et de façon fort logique puisqu’il vient de terminer son mandat à la tête du CCNR de Rillieux-la-Pape : Yuval Pick. Dans tous les cas, difficile de comprendre ce que la ruralité y gagne, comme en témoigne la baisse que subit la SMAC 07, qui irrigue pourtant tout le territoire ardéchois en itinérance – 80 000 euros attribués cette année contre 110 000 en 2024.
Maguy Marin n’aura a priori pas les 30 000 euros obtenus en 2024 – ce qui représente 10% des subventions totales de sa compagnie, majoritairement soutenue par l’État –, mais n’en a pas encore été officiellement informée – la Région laissant planer le doute d’une attribution ultérieure dans le courant de l’année. Lors de la création du très politique et engagé Deux mille vingt trois à la Maison de la Danse de Lyon en 2023, l’adjointe à la culture du président d’alors, Laurent Wauquiez – il est devenu conseiller spécial de son remplaçant Fabrice Pannekoucke depuis qu’il a été élu député en juin dernier –, avait fait savoir à sa compagnie que la Région ne financerait plus ce type de spectacles. La chorégraphe pointe là une « une politique générale très populiste et clientéliste ».
Sa compagnie, comme celle de Jean-Claude Gallotta, a déjà pas mal de décennies au compteur. Y voit-elle, de la part de la Région, une volonté de privilégier des générations plus jeunes ? Maguy Marin l’admet, et assure : « Place aux jeunes ! Si c’était des arguments pour que l’argent soit distribué à des plus jeunes, je trouverais ça assez normal, mais on ne va pas leur donner ce qu’on nous enlève ». Et de faire remarquer qu’elle développe une transition avec les générations suivantes, notamment dans Deux mille vingt trois, porté par des interprètes vingtenaires et trentenaires. « J’essaie de faire une transition vers de jeunes danseurs et aussi de les sauver, dans la mesure du possible, de la situation catastrophique dans laquelle les jeunes intermittents se retrouvent aujourd’hui ».
L’essor des gros projets patrimoniaux
La structure dont Maguy Marin est présidente, Ramdam, à Sainte-Foy-lès-Lyon, est aussi lésée par la Région et ne touchera en 2025 que 20 000 euros, contre 28 000 en 2024. C’est très concrètement un poste qui ne sera pas renouvelé sur un temps plein, mais aussi un temps partiel supprimé et une baisse du soutien alloué aux artistes. Pourtant, ce centre d’art – qui bénéficie aussi de 60 000 euros de la part de la DRAC et de 15 000 euros de la Ville de Lyon – permet, à l’année, avec seulement deux ETP, 700 journées de résidence, 1 300 nuitées offertes dans le gîte, 30 équipes artistiques en résidence, 200 heures de formation professionnelle, une dizaine d’ouvertures publiques à l’occasion desquelles près de 150 personnes visitent le lieu et rencontrent des artistes, par l’intermédiaire de leur école, de leur centre social ou de leur lycée professionnel. Derrière chaque coupe, qui bénéficie très clairement à l’investissement dans le patrimoine, il y a ce type de conséquences très concrètes. Enfin, l’opacité qui entoure ces décisions budgétaires fait qu’elles ne résultent pas du « dialogue, mais de la punition », selon Pascale Bonniel-Chalier, conseillère régionale du groupe Les Écologistes. « L’exécutif de la Région ne veut pas aider ce secteur, mais lui a déclaré la guerre en enlevant 4,2 millions d’euros en 2022 et 5 millions cette année. On n’est plus du tout dans de l’ajustement ».
À l’inverse, de gros projets patrimoniaux sont en cours de réalisation et financés : le château-musée de Saint-Maurice-de-Rémens, dans l’Ain, où Antoine de Saint-Exupéry passa son enfance ; la cité de la civilisation gauloise Gergovia dans le Puy-de-Dôme ; l’agrandissement et la nouvelle architecture par Rudy Ricciotti du musée lyonnais des Tissus – dont l’ouverture était prévue en 2028 et d’ores et déjà repoussée à 2030 ; la Halle aux blés – qui abrite le FRAC Auvergne – à Clermont-Ferrand ; et la restauration du Domaine royal de Randan, dans le Puy-de-Dôme. Mais ce qui scandalise l’élue, « qui n’a rien contre le patrimoine » et approuve avec son groupe politique nombre des projets pré-cités, c’est, par exemple, qu’ait été voté en février dernier, pour un montant de 3 millions d’euros – dont 2 millions sur la ligne budgétaire de la culture et 1 million sur la ligne tourisme –, « la rénovation de l’exposition du musée privé de Michelin au moment où l’entreprise licencie des salariés et sans écoconditionnalité ». « Ce n’est pas le travail d’une collectivité publique », conclut-elle.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
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