Créé en 2018 au Quartz, à Brest, Autoportrait à ma grand-mère de Patricia Allio se donne comme la prolongation du dialogue entre l’artiste et son aïeule.
Un « white cube », une cimaise pour accueillir un ordinateur, un pupitre : voilà, peu ou prou, le dispositif aussi économe qu’essentiel choisi par Patricia Allio pour Autoportrait à ma grand-mère. Tout en sobriété, l’intitulé choisi renvoie à la façon dont l’autoportrait – notamment dans la peinture – permet d’excéder le sujet d’étude initial pour interroger et embrasser d’autres enjeux. Et l’on saisit à découvrir ce spectacle à quel point il est de ces performances s’amendant et s’enrichissant au fil du temps – aussi parce qu’écrire sur des proches, leur mort, ce qu’il reste après leur disparition, fait partie de ces « sujets » qui amènent une évolution des réflexions comme des émotions. Un pressentiment confirmé à la lecture du texte publié, qui diffère pour partie de ce que porte l’autrice, metteuse en scène, performeuse et réalisatrice Patricia Allio au plateau.
Pour autant, le cœur du propos, tangible et puissant, demeure dans la pièce comme sur scène et à travers la convocation de la figure de sa grand-mère maternelle et la revisitation d’une partie de son histoire, c’est à un autoportrait fragmentaire que se livre l’artiste, ainsi qu’à une réflexion sur les images et la mort. Débutant par une diffusion sonore d’un entretien entre sa grand-mère et elle, Patricia Allio alterne ainsi entre ces dialogues enregistrés et un récit, le tout ponctué de projections de photographies (tirées pour certaines des archives familiales) et d’un extrait de film tourné par elle-même.
Autant de matériaux de régimes et d’origines diverses qui vont permettre d’aborder certains pans de la vie de Julienne Le Breton. De cette aïeule née en 1920 et morte en 2014, l’on apprend les origines pauvres, le breton comme langue maternelle, une vie de labeur – ce qui n’empêche pas celle-ci d’avoir été émaillée de moments de bonheur, etc. Alternant entre les souvenirs et des mises en perspective de ces derniers par des citations d’œuvres d’artistes, de philosophes ou de penseurs, l’ensemble se déploie sous la forme de chapitres. Un choix de structure aussi intelligent que ludique, qui relie mine de rien des éléments a priori disparates pour élaborer un parcours évoquant l’association libre ou le « dorica castra » (fameuse structure de la comptine Trois petits chats).
Mais ce chapitrage informe, également, sur la démarche de Patricia Allio et sur les perspectives dans lesquelles entendre la vie de l’aïeule. Certains intitulés sont, en effet, très référencés : citons « Trouble dans le genre », titre de l’essai de la philosophe Judith Butler, ou « Les colonisé.es de l’intérieur », chapitre évoquant notamment l’éradication opérée par l’État français des langues bretonnes. Ce qui se déplie ainsi progressivement est une métabolisation de la vie de la grand-mère par les engagements et positions de l’artiste. Si l’on saisit que c’est, également, dans ce choix que se niche la démarche autofictionnelle de l’autrice, cette appréhension de la vie de Julienne Le Breton à l’aune des enjeux politiques et queers chers à sa petite-fille (enjeux stimulants dans ce qu’ils invitent à déconstruire) force parfois le trait, n’évite pas les maladresses, manque de profondeur. Prolonger son propre exercice d’auto-analyse comme sonder plus avant certains points abordés (tel celui de l’éradication des langues bretonnes, sujet sur lequel, parmi d’autres, la dramaturge et traductrice Françoise Morvan a également travaillé) permettrait peut-être à Patricia Allio de relier et déplier avec plus de pertinence les deux itinéraires de vie.
En dépit de cette réserve, Autoportrait à ma grand-mère interpelle, voire, même, bouleverse par moments. En articulant différents registres de propos et des matériaux multiples, en portant ce récit avec une justesse sans fard marquée par une adresse directe empreinte de délicatesse, Patricia Allio nous parle des images, du deuil, de l’identité, de l’absence, de la mort. L’évocation de sa grand-mère et de leur relation embrasse des questions (sur la transmission, la position des transfuges de classe, les luttes) qui d’intimes se font universelles. La description minutieuse dans la dernière séquence d’une ultime photographie, la seule que le public ne verra pas (mais pas besoin de la voir, car avec ses mots, Patricia Allio nous l’a montrée) rappelle la puissance des histoires et des mots : il y a ceux de ce texte, de ce spectacle, qui font que la mémoire et la vie de cette aïeule perdurent. Il y a ces deux noms « joie » et « gaieté » utilisés par la même aïeule pour qualifier le moment capté par la fameuse photo et dont Patricia Allio hérite. Les mots transmettent des états, des positions, des émotions, des réflexions et en nous proposant les siens, Patricia Allio se saisit aussi de ceux de sa grand-mère …
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Autoportrait à ma grand-mère
Texte et performance
Patricia AllioCréation lumière et collaboration scénographie : Emmanuel Valette
Production Association ICE
Coproduction Le Quartz, Scène nationale de Brest ; Festival Terres de Paroles ; La Filature, Scène nationale de Mulhouse.
Cette série de représentations bénéficie du soutien financier de Spectacle Vivant en Bretagne.
Ce projet a bénéficié de l’aide à l’écriture du CNL – section théâtre, de l’aide à la création du Ministère de la Culture – DRAC Bretagne, du Conseil Départemental du Finistère et de la Région Bretagne, du soutien de la Chapelle Fifteen et des villes de Plougasnou et de Saint-Jean-du-Doigt.
Création en novembre 2018 au Quartz, Scène nationale de Brest.
Texte édité le 25 mai 2023 aux Éditions Les Solitaires intempestifs.
Théâtre du Rond-Point
du 12 au 21 octobre 2023Centre culturel et artistique d’Uccle (Belgique)
12 janvier 2024Maison de la danse / Lyon
24 janvier 2024Théâtre des Célestins / Lyon
30 septembre – 13 octobre 2024
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