Depuis 2013, quand vient l’automne, La Loge irrigue le territoire francilien avec son festival Fragments, un éventail de la jeune création à l’état d’étape, présentée le temps d’une petite semaine dans les différents lieux partenaires. Des embryons qui deviendront grands et feront, peut-être, eux aussi, des petits.
Il n’y a qu’à jeter un œil par-dessus l’épaule et regarder en arrière pour envisager le sillon tracé par ce festival, les projets nés sous son auspice qui ont connu tournée, succès, rebonds, voire Avignon. Fragments défriche, fait des paris et confiance aux artistes. Fragments est un tremplin et certains, après y avoir été programmés, sont allés loin. Agathe Charnet y a présenté les débuts de Nous étions la forêt, Nadège Cathelineau et Julien Frégé Tout va bien, Alix Riemer sa version du Papier peint jaune, Théophile Dubus son cabaret Fin (Faim), Marine Colard Bataille Générale… Des projets embryonnaires qui ont depuis fait du chemin, et ont tous abouti. On pourrait en citer encore plein si on remontait aux éditions précédentes qui ont vu passer les collectifs Mind the Gap et Das Plateau, Faustine Noguès, Benjamin Tholozan ou encore Maurin Ollès.
Le festival Fragments est un vivier. Il peut se targuer d’avoir du flair et s’appuie sur un réseau solide de partenaires à Paris et au-delà, constellation d’alliés qui se serrent les coudes pour mieux accompagner artistes, collectifs et compagnies dans leurs aventures respectives. À Paris, le festival rayonne rive droite et rive gauche grâce au Théâtre 13, au Théâtre Silvia Monfort, aux Plateaux Sauvages, à L’Étoile du Nord, au Grand Parquet, via le Théâtre Paris-Villette, ainsi qu’au Jeune Théâtre National. En région, théâtres et festivals prennent le relais sur un temps élargi, en l’occurrence Le Volcan au Havre, en partenariat avec Les Bains Douches, le Théâtre Sorano à Toulouse, le festival Mythos à Rennes, le Warm-Up du Printemps des Comédiens à Montpellier, le Forum Jacques Prévert à Carros et Le Salmanazar à Épernay. Une belle brochette !
Fragments existe depuis douze ans déjà, une longévité à saluer, et il porte bien son nom, lui qui a permis le repérage, le soutien et les premiers pas de projets encore verts présentés sous forme de maquettes, d’ébauches ou d’extraits. Fragments fait de la découverte le coeur de son réacteur, et mise sur les vertus du réseau et de l’alliance pour attirer l’attention sur des spectacles en cours d’élaboration et leur donner une chance de réunir les coproductions nécessaires pour être menés à terme. Véritable laboratoire de formes nouvelles, terrain d’expérimentations audacieuses et singulières, ce festival dynamique et enthousiasmant est également une occasion en or pour initier une synergie autour des équipes artistiques accueillies. D’un théâtre à l’autre, entre deux présentations, dans le hall ou au bar, public – professionnel ou non – et compagnies ont le loisir d’échanger, de débriefer, de bavarder autour d’un verre. Parce que le spectacle vivant se prolonge et se propage hors de la salle.
C’est ainsi que, depuis le lundi 14 octobre et jusqu’au vendredi 18, des grappes de spectateur.ices se pressent d’un lieu à l’autre, s’attardent à la sortie, et goûtent à la programmation de cette douzième édition. Des propositions diverses en matière de forme, d’esthétique et de thématique. On y découvre Les Grandes Histoires, une esquisse musicale autour des récits phares de la littérature, de Don Quichotte à La Recherche du temps perdu en passant par Dracula et Germinal, inspirée par Les Mille et Une Nuits, ou quand raconter devient moyen de survie ; puis, on enchaîne avec Popanz, un ovni percutant, quelques séquences en patchwork d’une expérimentation tout public autour de l’ironie et du Chat botté dans un dispositif bifrontal et une scénographie de planches, néons et poulies qui devient vite une savante mécanique musicale. Deux façons diamétralement opposées d’aborder la musique en live au plateau, de l’insérer dans la narration, d’en faire une matière à jouer.
En outre, grosse attente pour le nouveau projet de la compagnie Le Grand Chelem, portée par Léa Girardet, qui présente Balle de match, inspiré par le duel épique et politique entre le tennisman Bobby Riggs et la tenniswoman Billie Jean King. De son côté, Blanche Ripoche se commet dans un premier solo à mi-chemin entre le théâtre, le clown et la performance (Coraline), tandis que Camille Daloz adapte le célèbre roman d’Edouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule, qui devient Eddy. La Compagnie A bout portant focalise sur les Pokémon, mais pas que (Hmar Lil), et Fouiller bercer pompier puise dans la Bible et le fratricide d’Abel et Caïn pour inventer un opéra baroque qui décortique la violence et l’injonction à la virilité. Autre tentative de déconstruction des codes étriqués de la masculinité, Démasculinisez-moi mélange danse et théâtre pour porter son propos.
En tout, ce sont douze projets en cours qui dévoilent leurs coulisses, leurs balbutiements et tâtonnements sous nos yeux, nous donnent un avant-goût du spectacle à venir, une mise en bouche émulatrice et l’envie d’en voir plus, de les regarder grandir et prendre leur envol pour de bon, une fois passée la phase de maturation. Fragments, c’est le festival des premiers jets, le festival des petits qui deviendront grands. Le festival des prémices et des promesses.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Festival Fragments #12
Théâtre 13, L’Étoile du Nord, Le JTN, Le Grand Parquet, Théâtre Silvia Monfort, Les Plateaux Sauvages
du 14 au 18 octobre 2024
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