Spectacle d’ouverture « jeune public » du 72e Festival d’Avignon, Au-delà de la forêt, le monde interroge la crise des réfugiés en Europe, à travers le regard d’un jeune réfugié afghan. Emmené par Emilie Caen et Anne-Elodie Sorlin, ce conte initiatique étonne par sa douceur et sa luminosité.
Sillonner les routes turques enfermé dans le coffre d’une voiture, traverser la mer Egée à bord d’un bateau qui prend l’eau, se cacher dans un camion frigorifique rempli de tonnes de bananes pour franchir le tunnel sous la Manche… La vie de Farid est loin, très loin, de celle dont rêvent généralement les jeunes hommes de son âge. Né en Afghanistan, il a vu son père mourir lors de l’intervention des forces américaines et dois désormais partir, en compagnie de son frère, pour s’offrir un avenir meilleur, loin de sa terre natale dévastée par des années de conflit et du pachtounwali, ce code d’honneur vieux de 2.000 ans qui structure autant qu’il enserre la société afghane. Son objectif ? La Grande-Bretagne, soit un périple de 6.000 kilomètres à vol d’oiseau, avec l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France en travers de son chemin.
Inventé par Inês Barahona et Miguel Fragata à partir de diverses histoires d’enfants réfugiés découvertes dans la presse, sur Internet ou à la télévision, le parcours de Farid, aussi fictif soit-il, ressemble à s’y méprendre à ceux de bon nombre d’exilés. Alors que l’Europe se transforme peu à peu en forteresse, que des dizaines de naufragés meurent chaque semaine en Méditerranée, les fondateurs de la compagnie Formiga Atómica auraient pu être tentés de faire d’Au-delà de la forêt, le monde un sombre manifeste. Conçu à l’attention du jeune public, il surprend, au contraire, par sa douceur de ton et son ambiance lumineuse.
Les deux metteurs en scène ont volontairement souhaité décaler le regard des spectateurs. Plutôt qu’à un jeune comédien, ils ont confié le récit de l’épopée de Farid à deux comédiennes, Emilie Caen et Anne-Elodie Sorlin. Dans un langage simple et percutant, sans jamais sombrer ni dans le pathos ni dans la caricature ni dans la naïveté, elles parviennent à instaurer une jolie distance avec ce conte initiatique et une belle complicité avec le public. Une carte de l’Europe en fond de scène, perdues au milieu de valises, elles les ouvrent tels de multiples coffres au trésor. Comme des poupées russes scénographiques, une fois boîte à souvenirs, une fois boîte à magie, elles en sortent des objets à la forte symbolique, dont elles se servent comme d’habiles accélérateurs dramaturgiques et de subtils puits d’émotions.
Parfois trop appuyées – pour garantir, sans doute, une meilleure accessibilité aux plus jeunes – leurs digressions interrogent, au passage, la condition de la femme en Afghanistan, le rôle du théâtre dans la crise des réfugiés en Europe, et surtout celui du citoyen. Comme tout conte qui se respecte, celui de Farid se termine par un « happy end », grâce à l’intervention d’une assistante sociale britannique. Une façon de rappeler que, quels que soient les discours de certains gouvernements, tout un chacun, à titre individuel, a bel et bien le pouvoir d’intervenir et de changer le cours d’une vie.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Au-delà de la forêt, le monde
Avec Émilie Caen, Anne-Élodie Sorlin
Texte et mise en scène Inês Barahona, Miguel Fragata
Traduction Luís de Andrea
Musique Teresa Gentil
Scénographie Maria João Castelo
Lumière José Álvaro Correia
Costumes Maria João CasteloProduction Formiga Atómica
Coproduction São Luiz Teatro Municipal – Lisbonne, Théâtre de la Ville – Paris
Avec le soutien de República Portuguesa – Cultura / DGArtes – Direção-Geral das Artes
En partenariat avec France Médias Monde
Durée : 50 minutesFestival d’Avignon 2018
Chapelle des Pénitents blancs
Du 6 au 13 juillet sauf le 10Festival de Liège (Belgique)
Les 8 et 9 février 2019Théâtre de la Ville, Paris
Du 14 au 23 mars
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