Directeur depuis 2011 de la Comédie de Saint-Étienne et de son école supérieure d’art dramatique, Arnaud Meunier quittera la tête du Centre dramatique national en janvier prochain. Le metteur en scène partira pour Grenoble où il dirigera la MC2, scène nationale. Un changement important dans son parcours comme dans la constitution du paysage culturel – les scènes nationales n’étant habituellement pas dirigées par des artistes, au contraire des CDN. Autour de ces nouveaux enjeux, Sceneweb a rencontré Arnaud Meunier.
Qu’est-ce qui vous a amené à souhaiter diriger une scène nationale ?
Beaucoup de choses. Mais je ne dirais pas que j’ai postulé « à la direction d’une scène nationale » : j’ai postulé à la direction de la MC2 de Grenoble, c’est très différent je crois. De par son histoire, son bâtiment, son équipe, son budget, la MC2 est un outil complètement voué à la création. Ayant développé à la direction d’un Centre dramatique national une compétence de producteur, j’ai eu envie de prolonger cette expérience à Grenoble. Et puis j’aime les défis, développer les maisons, les outils, les projets. Sous mon mandat à Saint-Étienne, le budget annuel de la Comédie est passé de 4,6 millions à 7,2 millions d’euros. Quel projet aurait pu m’exciter davantage que de diriger la MC2 avec l’ambition d’en faire une maison de production pluridisciplinaire ?
Cela signifie-t-il que vous allez laisser de côté votre travail de metteur en scène ?
Vu le travail qui m’attend, j’ai clairement pris la décision de mettre entre parenthèses mon métier de metteur en scène. Mais cela ne m’empêchera pas d’utiliser mon répertoire, d’autant que j’ai des spectacles que je compte mener à leur terme : Candide, de Voltaire (créé en octobre 2019) et Tout mon amour, de Laurent Mauvignier (qui sera créé en février 2021). Ce n’est donc pas un sevrage brutal et radical, puisque ces projets prévus ou en cours de tournée continueront à vivre. En revanche, il n’y aura pas de nouvelle création pour l’instant. J’ai décidé de me vouer complètement à la direction de la MC2, afin de pouvoir y mener au mieux le projet artistique que j’ai écrit pour ce lieu. Pour moi, il s’agit d’une réorganisation de mes priorités, et de la mise en œuvre de mon désir de ne pas produire uniquement du théâtre, mais d’œuvrer à des créations d’autres disciplines et si possible transdisciplinaires.
Comment vivez-vous cette « mise entre parenthèses » ?
C’est quelque chose que j’ai déjà vécu en arrivant à Saint-Étienne, où la maison était alors franchement mal en point. Ce n’est que lors de ma troisième saison à la tête du CDN que j’y ai fait ma première création : Chapitres de la chute, Saga des Lehman Brothers, de Stefano Massini. Par ailleurs, je m’interroge fortement sur ce devoir de créer tous les ans quand on est à la tête d’un CDN. Il y a là une obligation qui mériterait d’être fortement repensée. Accompagner les projets et les désirs des autres me va très bien.
Pensez-vous que votre manière d’accompagner des artistes sera différente du fait du changement de structure et, donc, de missions ?
Non. Je crois dans les personnes et dans les projets, bien plus que dans les « cahiers des charges ». Toutefois, je suis heureux de rejoindre cette « belle famille » des Scènes nationales où j’ai beaucoup d’ami.e.s et de complices depuis longtemps. Je crois utile de pouvoir être une passerelle entre ces deux histoires de la décentralisation qui sont très complémentaires. La MC2 est un outil exceptionnel et atypique : elle abrite un centre chorégraphique national, elle dispose de 3 salles de spectacles, d’un auditorium, de 3 salles de répétition, d’un atelier de construction de décors, d’un de costumes, elle a la responsabilité des options théâtre de son territoire. La MC2, ce sont 22 000 m2 dédiés à la création : peu de structures ont de telles possibilités. Dans ma capacité à accompagner les autres artistes, je considère le fait d’être moi-même metteur en scène comme un atout. Les affres de la création sont des choses que je connais intimement. Et à Saint-Étienne, j’ai pris autant, voire parfois plus, de plaisir à accompagner les projets d’autres artistes que de monter les miens. Le rôle d’un directeur de CDN excède très largement la simple mise en scène de ses propres spectacles, c’est cela que notre génération a fait advenir, bataillant pour évacuer les derniers clichés attachés à ces maisons. À Saint-Étienne, j’ai démontré mon appétit pour repérer, accompagner, produire : je pense par exemple aux artistes Émilie Capliez et Mathieu Cruciani, aujourd’hui co-directeurs du CDN de Colmar, qui étaient inconnus lorsqu’ils ont commencé à être artistes associés à la Comédie en 2011. Ou à Tamara Al Saadi, que j’ai repérée avant qu’elle ne soit récompensée en 2018 par le prix du Jury du Festival Impatience.
Vous évoquez les changements mis en œuvre par une génération de directeurs de CDN. Quels sont-ils ?
Tout n’était pas blanc ou noir avec la génération de nos aînés, loin s’en faut ! Mais la génération qui passe à présent la main a collectivement et indéniablement fait évoluer les CDN, de manière très nette, vers un modèle plus ouvert et plus partagé. Je vais vous donner un chiffre : à Saint-Étienne, l’ensemble de mes créations représente 10% de mon disponible artistique. C’est Richard Brunel [précédent directeur de la Comédie de Valence, ndlr] qui a commencé, le premier, à calculer ce chiffre, afin de rendre lisible le partage effectif des moyens de production. De même, je pense qu’il n’y a plus aucun CDN aujourd’hui qui n’a pas d’artistes ou de compagnies associées ; ou qui fonctionne en autarcie, sans coproductions ni partenariats avec d’autres théâtres publics – tous labels confondus ; les directions se renouvellent à présent très régulièrement… Nous avons fondé une association et avons œuvré à des intelligences collectives pour modifier les pratiques et continuer à inventer, de manière vivante, la décentralisation d’aujourd’hui. L’outil CDN est extraordinaire en cela qu’il connecte l’énergie de la création avec les territoires, ce qui est un fort vecteur de fiertés partagées. Que des spectacles soient entièrement répétés en région ou en banlieue avant de partir en tournée ; d’être constamment dans ce grand écart de travailler au cœur de nos villes d’implantation tout en rayonnant le plus loin possible – et souvent à l’étranger : c’est un défi quotidien passionnant. J’ai beaucoup appris à Saint-Étienne et je suis fier du travail accompli avec mon équipe qui s’est montrée dévouée et engagée à chaque instant. Je n’ai jamais compris ceux qui ont cherché à marginaliser et à ringardiser les CDN. Ils sont un maillon essentiel dans l’accompagnement des compagnies et dans la synergie avec les autres labels. Je note aujourd’hui que les querelles de chapelles se sont fort heureusement beaucoup atténuées. Le renouvellement et la féminisation des directions y a beaucoup contribué, je crois. Et par ailleurs, nous avons collectivement appris à réfléchir en dehors du cadre hexagonal. Tout cela aide à additionner nos forces, à jouer collectif. Mon arrivée à la tête d’une grande Scène nationale témoigne de ce changement d’époque et de paradigme. C’est un signe positif pour l’ensemble de notre profession. J’ai pour habitude de dire que ma génération a lutté contre une forme de « persistance rétinienne » chez certains professionnels et même certains journalistes pour faire reconnaître que les CDN jouaient bien leur rôle dans l’écosystème du théâtre public. J’ai la nette sensation que nous y sommes parvenus. Que des talents comme Julie Deliquet ou Thomas Jolly prennent le relais aujourd’hui est le signe d’une vitalité indéniable.
Quels sont pour vous les enjeux majeurs propres au territoire grenoblois ?
Grenoble a toujours été une terre d’innovation. C’est aussi une ville avec une très forte mixité sociale. Le nombre d’ingénieurs scientifiques y est le double de la moyenne nationale mais la ville a aussi des quartiers prioritaires parmi les plus difficiles de France. C’est cette mixité que je souhaite retrouver dans les salles de la MC2. Par ailleurs, les mouvements d’éducation populaire y sont très actifs et très pertinents : une véritable synergie peut s’inventer avec eux. Pour cela, nous allons développer la présence artistique en incitant les équipes à s’implanter ou à revenir à Grenoble. Cela peut se faire de manière ponctuelle, à l’occasion de résidences de création, mais cela peut aussi se penser de manière plus durable. Les artistes associés auront un abri pour rêver et développer leurs projets mais elles et ils devront aussi penser l’articulation de leur travail avec le territoire et les populations. Je suis un enfant de la démocratisation culturelle : je crois profondément en ce lien unique entre les artistes et les gens. C’est cela qui permet une réelle appropriation. La MC2 a une histoire citoyenne et militante que je souhaite retrouver sans rien abandonner de notre ambition artistique. Elle est à un tournant de son histoire qui coïncide avec les grands enjeux de transition de notre société. Tout cela s’imaginera avec l’ensemble de l’équipe et des partenaires de la MC2 et je veux ici remercier et saluer Jean-Paul Angot qui a beaucoup contribué à la transformation physique de la maison et à son développement dans le réseau professionnel. Je m’inscris dans une belle et longue histoire et j’en suis heureux. Il m’incombe, à présent, de tracer de nouvelles perspectives dans un paysage certes troublé et incertain mais en même temps propice à de nouvelles réflexions et à de belles aventures.
Propos recueillis par Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
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