Bernard-Marie Koltès a écrit « Le Retour au désert » en 1988 pour Jacqueline Maillan. Un rôle à contre emploi pour la comédienne, reine du boulevard. A la création, la mise en scène de Patrice Chéreau fait sensation. Cette pièce est d’une actualité inouïe, elle parle du racisme latent dans la société française et de l’histoire coloniale du pays. Arnaud Meunier, le directeur de la Comédie de Saint-Etienne remonte la pièce avec Catherine Hiegel et Didier Bezace. Rencontre avec le metteur en scène.
La pièce de Koltès écrite en 1988 est furieusement d’actualité dans cette France qui se radicalise. Est-ce que c’est l’une des raisons qui vous a poussé à monter cette pièce ?
Je pense qu’il faut que l’on parle de l’Algérie. Il y a un refus de vouloir parler de notre passé colonial. Cette histoire n’est pas transmise, n’est pas enseignée, elle est secrète, elle est taboue, du coup cela fermente et cela remonte à la surface. Lorsque j’ai vu la version montée par Jacques Nichet, beaucoup de répliques me sont restées en mémoire. Notamment le passage ou Aziz dit « Je ne suis plus algérien, ni français, je suis un couillon ». Et pour la monter il fallait trouver le bon duo d’acteurs.
Koltès dit des choses fortes sur le repli d’une certaine France qui a peur de l’étranger. Koltès décrit le racisme latent.
Koltès disait que le jour où le Front National dépasserait les 8% il fuirait au Portugal ! Il serait effaré aujourd’hui. La pièce n’a pas pris une ride. Koltès veut nous faire rire de l’égocentrisme et de l’arrogance d’une petite bourgeoisie provinciale étriquée convaincue de son fait, que le France reste un grand pays magnifique qui n’a pas besoin de s’ouvrir sur l’autre, sur l’étranger et qui se ferme. Il avait envie de faire une comédie avec cette matière et cela n’a pas pris une ride. Dès 1988, il écrit une pièce avec des répliques en arabe, où deux personnages sont arabes, où un parachutiste est noir, il était précurseur quand on voit aujourd’hui nos débats sur la diversité. Il utilise l’arme du rire. On est entre Gogol, Flaubert et Shakespeare.
Et dans cette pièce il règle aussi ses comptes avec sa Lorraine natale
C’est sa pièce la plus autobiographique de Koltès. Il se livre. Il parle de Metz. Tous les personnages portent des noms de quartiers de la ville, le nom de la famille c’est la rue principale. Et il porte le fer là où ça fait mal. La pièce est formidable car elle mêle une comédie sur une histoire de famille avec des éléments biographiques et ses souvenirs d’enfance sur les évènements en Algérie et en France à cette époque là. Metz était une ville de garnison. Massu en était le Gouverneur militaire en 1960 et on a commencé à jeter des arabes dans la Meuse bien avant Paris.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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