Penda Diouf signe un conte maîtrisé, mis en scène avec pertinence par Anthony Thibault. Ensemble, ils font du mythe de Callisto une fable moderne, poétique et visuelle à la distribution impeccable.
Il a fallu six ans à l’autrice Penda Diouf pour voir sa Grande Ourse, publiée aux éditions Quartett, montée au plateau. C’est sa rencontre en 2015 avec le metteur en scène Anthony Thibault lors d’un débat animé à la Colline qui lance le projet. Ensemble, ils fondent le label « Jeunes textes et liberté » qui promeut une meilleure diversité de représentation et de narration sur scène.
La grande Ourse, c’est l’histoire d’un malentendu qui annonce un chavirement. C’est l’histoire d’un foyer heureux que rien ne prédestine au malheur ; et pourtant, c’est bel et bien un oiseau de mauvais augure qui vient se poser sur son seuil. Une étourderie, et tout bascule : un soir en rentrant de l’école, une mère et son fils s’assoient un moment sur un banc. En repartant, la mère n’a pas remarqué le papier de bonbon qu’elle a laissé s’échapper sur le trottoir. Une maladresse qui lui vaut d’être interpellée par la police, car, dans ce futur proche où la surveillance est partout, l’abandon de déchets sur la voie publique est un délit. Lorsque l’agent frappe à la porte du foyer, le premier réflexe de la mère est d’accuser son fils : c’est lui qui a dû laisser s’échapper le papier, forcément. Celui-ci dément ; et puis, de toute façon, la vidéosurveillance prouve le contraire.
C’est ainsi que la mère – lumineuse et puissante Armelle Abibou –, femme aimante et attentionnée, mère bosseuse et dynamique, en trench beige de cadre supérieur, se retrouve acculée. On lui rappelle à quel point elle a failli à sa fonction maternelle, à son rôle d’épouse, et même à son rôle de femme dans cet abandon minime, mais pourtant capital. Car, ici, on ne pardonne rien, et encore moins aux mères qui accusent leurs enfants injustement. Alors la sentence tombe : le policier explique que, dans ce genre de cas, la prison ne servirait à rien ; la seule punition valable, c’est l’humiliation.
Sur les carreaux blancs d’une cuisine qui devient une cellule de prison, dans cette solitude imposée, sous les quolibets des mauvaises langues – synthétisées avec brio par Maïka Louakairim qui incarne à la fois les jugements racistes et misogynes et l’ensemble des regards avides qui se délectent de voir ce corps de femme crouler sous le poids des injonctions contradictoires –, la mère va s’écrouler, avant d’observer une nouvelle pulsion de vie naître en elle. Une force refoulée de femme-monde qui va la conduire aux tréfonds de son âme, à la rencontre d’entités intérieures primitives et de figures mythologiques ancestrales. Elle finit telle Callisto violée par Zeus, transformée en ours, et se réfugie, seule, dans la montagne. Le mythe antique voudrait que le fils de Callisto devenu adulte, ne reconnaissant pas sa mère sous les traits du plantigrade et voulant l’abattre, ait été arrêté à temps par la main de Zeus, qui les plaça tous les deux dans le ciel, où ils forment les constellations de la grande et de la petite Ourse.
Si le récit se déroule dans un environnement occidental, le wolof du Sénégal n’est jamais loin, et la présence d’un vieux griot souligne les racines de l’autrice. Avec La grande Ourse, Penda Diouf signe un conte saisissant où la mère, telle Callisto, seule face à la violence ou à l’absence des hommes, doit se détacher de sa réalité pour renouer avec une force intérieure d’où elle tire un pouvoir inquiétant, et finit par atteindre l’éternité, brûlée sur le bûcher des femmes magiques. Dans une version du texte resserrée à raison autour de l’intrigue principale, Anthony Thibault donne à voir une direction d’acteurs convaincante et un travail scénographique – accompagné par Salma Bordes – pertinent qui, avec peu de moyens, sait faire naître des images aussi poétiques que puissantes. Un conte dense et maîtrisé qui est, on l’espère, la première pierre posée par un duo prometteur.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
La grande Ourse
Texte Penda Diouf
Mise en scène Anthony Thibault
Avec Armelle Abibou, Prescillia Amany Kouamé, Hovnatan Avedikian, Maïka Louakairim, Marcel Mankita, Adrien Michaux, Aho Ssan
Création musicale Aho Ssan
Scénographie Salma Bordes
Costumes Marguerite Lantz
Création lumière Pierre Langlois
Régie generale Maureen CléretProduction Compagnie La Nuit te soupire
Coproduction Les Francophonies en Limousin – des écritures à la scène, la MC93 de Bobigny, Le Méta CDN de Poitiers, le TAP – scène nationale de Poitiers, les 3T de Châtellerault, la Scène nationale de l’Essonne Agora/Desnos et de l’OARA
Avec le soutien de Scènes de territoire du Bocage Bressuirais
Avec le soutien en résidence de création de la vie brève – Théâtre de l’AquariumLa compagnie La Nuit te soupire est soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine.
Le texte est édité aux Editions Quartett. Texte lauréat du Comité de lecture du Théâtre de la Tête Noire, de À Mots découverts, du Comité du Panta-Théâtre, du Collectif ALT, du Prix du Jury du Festival Text’Avril 2019 du Théâtre de la Tête Noire, du Prix Collidram 2021 et du Prix du comité francophone Eurodram 2022.
Durée : 1h15
Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale d’Aubusson, dans le cadre des Zébrures d’automne des Francophonies – Des écritures à la scène
le 28 septembre 2024Maison des Arts et de la Danse, Limoges, dans le cadre des Zébrures d’automne des Francophonies – Des écritures à la scène
les 2 et 3 octobreThéâtre Auditorium de Poitiers, Scène nationale, avec Le Méta – CDN
le 26 novembreScènes de Territoire, Bressuire
le 28 novembreAgora-Desnos, Scène nationale de l’Essonne, Évry-Courcouronnes, en partenariat avec la Scène nationale de Sénart
les 3 et 4 décembreMC93, Bobigny
du 7 au 17 décembreL’Avant-Scène, Cognac
le 10 avrilLes 3T, Scène conventionnée de Châtellerault
le 18 avril
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