Au Palais Garnier, la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker signe un éblouissant Così fan tutte doux-amer dans lequel chanteurs et danseurs rendent la jeunesse mozartienne tourbillonnante et déchirante.
Avec une audace folle, Keersmaeker relève le défi de mettre en scène le troisième opus de la trilogie Da Ponte qui est aussi certainement le plus complexe. Chez elle, la musique est toujours un partenaire idéal, qu’elle soit composée par Bach, Verdi, Schönberg, ou bien Steve Reich et Brian Eno. Son geste chorégraphique témoigne d’une approche aussi intellectuelle que sensuelle, d’une écoute attentive et d’une fine compréhension de l’œuvre de Mozart dont elle restitue la facétieuse allégresse comme l’infinie douleur.
En épousant les tours et contours d’un traçage emblématique de l’écriture savante et épurée de Keersmaeker, les personnages dédoublés redessinent les liens qui les unissent. Ils se croisent, se cherchent, s’attirent, se fuient… Leurs itinéraires, jamais tranquilles, font se côtoyer une alacrité frénétique, une lascivité apaisée et une âpre brutalité.
On sait depuis les Così de Patrice Chéreau et de Michael Haneke, le premier magnifiquement empreint de gravité et de nostalgie, le second soumis à une lecture froidement analytique, que l’œuvre est bien plus profonde que légère et que le jeu de dupes orchestré par Alfonso s’apparente à une cruelle mise à l’épreuve qui étreint et éprouve les amants qui s’y livrent.
Dans la vastitude de la cage de scène repeinte et transformée en white box, aucune trace de la Naples classique ne subsiste à l’exception de son éclatante solarité. La blancheur immaculée de l’espace renvoie à une couleur aussi bien nuptiale que laborantine. Dans ce paradis artificiel, chaque humeur est soulignée des franches variations d’éclairages pop ou glacés et c’est dans un noir quasi-complet que les amants, devenus les ombres d’eux-mêmes, tirent la sévère leçon qui donne son titre à l’ouvrage.
Juchés sur de hauts talons ou en baskets fluo, mal servis par des costumes assez laids, les six solistes offrent un remarquable engagement physique et musical. Les voix sont belles et juvéniles, les lignes de chant aussi somptueuses que les nuances déployées. Paolo Szot fait un solide Alfonso, Philippe Sly plein de tempérament est la suavité et la séduction incarnées dans Guglielmo, Frédéric Antoun, même un peu engorgé, fait un Ferrando puissant et raffiné. Ce sont surtout les femmes qui inspirent Anne Teresa de Keersmaeker. Alors que la pétillante Dorabella de Michèle Losier s’abandonne hâtivement et délicieusement au désir, la Fiordiligi plus marmoréenne de Jacquelyn Wagner fait preuve d’une résistance coriace à la volupté. Enfin, l’excellente soubrette de Ginger Costa-Jackson assume avec un irrésistible abattage la dimension buffa de l’opéra dont l’humour est loin d’être complètement tari malgré la mélancolie qui l’envahit.
Les interprètes de la Compagnie Rosas connaissent, appliquent, respirent à la perfection les infimes ruptures de la chorégraphie. Ils se livrent avec feu à des courses effrénées, des balancements inlassables, des chutes et roulades intempestives, des élans arrêtés net et laissés en suspens dans l’immobilisme. Dans ce Così plein de circonvolutions, seul l’orchestre semble suivre une ligne toute droite. Il trace d’une manière étale et parfois dépourvue de netteté dans le rythme (les cordes) et la justesse (les cors) sous la direction enlevée mais aussi précipitée de Philippe Jordan dont la scène des adieux et le trop rapide Soave sia il vento qui suit manquent d’émotion.
Si, parfois, quelques temps morts se font sentir, c’est pour mieux traduire l’instabilité, l’inquiétude, l’indétermination du sentiment amoureux qui condamne à l’errance les cœurs et les corps pris dans une « expérience alchimico-affective » qui ébranle, désillusionne. La passion ne révélera pas tous ses mystères mais la danse dit tout du propos de Mozart et pas autre chose, retranscrit avec une sensible exactitude.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Così fan tutte
Opera buffa en deux actes (1790)
Musique
Wolfgang Amadeus Mozart
Livret
Lorenzo Da Ponte
En langue italienne
Direction musicale
Philippe Jordan
Mise en scène
Anne Teresa De Keersmaeker
Chorégraphie
Anne Teresa De Keersmaeker
DIRECTION MUSICALE Philippe Jordan (12 sept. > 8 oct.), Marius Stieghorst (10 > 21 oct.)
CHANTEURS
FIORDILIGI Jacquelyn Wagner (A) / Ida Falk-Winland (B)
DORABELLA Michèle Losier (A) / Stephanie Lauricella (B)
FERRANDO Cyrille Dubois
GUGLIELMO Philippe Sly (A) / Edwin Crossley-
Mercer (B)
DON ALFONSO Paulo Szot (A) / Simone Del Savio (B)
DESPINA Ginger Costa‑Jackson (A) / Maria Celeng (B)
DANSEURS DE LA COMPAGNIE ROSAS
FIORDILIGI Cynthia Loemij
DORABELLA Samantha van Wissen
GUGLIELMO Michaël Pomero
FERRANDO Julien Monty
DESPINA Marie Goudot
DON ALFONSO Boštjan Antončič
Décors
Jan Versweyveld
Costumes
An D’Huys
Lumières
Jan Versweyveld
Dramaturgie
Jan Vandenhouwe
Chef des Choeurs
Alessandro Di Stefano
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Avec, en alternance, les danseurs de la Compagnie Rosas et du Ballet de l’Opéra national de Paris
Ce spectacle fera l’objet d’une captation audiovisuelle
Une co-production Opéra national de Paris, Telmondis, Idéale Audience et Mezzo avec le soutien du CNC, réalisée par Louise Narboni.
3h40 avec 1 entractePALAIS GARNIER
14 représentations du 12 septembre au 21 octobre 2017
Soirée moins de 40 ans le 17 octobre 2017
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