Dans Bérénice, rien ne se joue au sens spectaculaire — et pourtant tout s’effondre. Les empires, les amours, les promesses. Titus n’abandonne pas Bérénice par faiblesse, mais par devoir. Bérénice ne cède pas à la plainte, elle tient. Antiochus aime en silence. Trois êtres qui ne s’affrontent pas les uns contre les autres, mais contre eux-mêmes. Racine n’écrit pas ici une tragédie du conflit, mais une tragédie de la rigueur essentielle, de la rigueur intérieure.
Anne Kessler, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, choisit de faire de ce texte une expérience d’écoute radicale. Les acteurs prendront place dans les gradins, et le public sera installé sur le plateau. Ce renversement de la salle et de la scène n’est pas un geste formel : il répond à la structure même de la pièce.
Le drame est un drame de voix. Le vers se dit bas, presque sur le souffle, sans emphase ni geste : Moderato cantabile.
Le spectateur n’est plus un regard, mais une oreille. Il devient Rome : Rome qui écoute, Rome qui juge, Rome à qui l’on s’adresse et devant qui l’on se défait.
Dans ce dispositif, la langue racinienne circule. Elle ne domine pas, elle respire. Elle devient une matière claire, nue, tendue comme un fil prêt à rompre. Les comédiens apparaissent alors non pas comme des figures figées de la tragédie, mais comme des corps traversés par la parole, des souffles qui vibrent au plus près du public.
Stanislas Merhar incarne Titus avec cette souveraineté fragile qui se fissure sans se briser. Thomas Blanchard prête à Antiochus une douceur lucide et bouleversante. Évelyne Istria, en Phénice, est la mémoire du cœur, la veilleuse silencieuse des émotions.
Anne Kessler, dans le rôle de Bérénice, choisit la retenue : un amour qui se retire, une lumière qui vacille sans s’éteindre. Jouer Bérénice, dit-elle, « c’est accepter de se tenir dans l’incandescence contenue, dans la douleur droite, dans la clarté du renoncement. »
Ici, le théâtre devient un espace de respiration : un lieu où la langue s’incarne, où le silence a valeur de regard, où la tragédie retrouve son humanité. Bérénice se joue dans cette tension rare entre la parole et le souffle, dans cet espace sacré où tout vacille sans jamais se perdre.
Bérénice
Texte Jean Racine
Mise en scène Anne Kessler
Avec Anne Kessler, Stanislas Merhar, Thomas Blanchard, Évelyne Istria
Production Théâtre de la Concorde
Composition et musique originale Yom
Illustration Anne Kesslerdu 7 au 20 janvier 2026
Théâtre de la Concorde

Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !