C’est Angelin Preljocaj qui a ouvert la quarante-troisième édition du festival Montpellier danse. Constitué de deux pièces fondatrices de l’histoire de sa compagnie ainsi que d’une toute nouvelle création, le triptyque du chorégraphe permet de se plonger dans son parcours et de mesurer les permanences comme les évolutions de son travail.
Il est rare de pouvoir, en une seule représentation, s’immerger ainsi dans le travail d’un artiste. C’est d’ailleurs la qualité et l’intérêt majeurs de cette proposition, qui déroule (par ordre d’apparition) L’Annonciation (1995), Torpeur (2023) et Noces (1989). En s’émancipant de toute chronologie, cette articulation raconte déjà diverses choses : la façon dont les œuvres s’influencent les unes les autres (Preljocaj ayant pensé Torpeur en regard des deux autres) ; la manière dont la constitution d’un répertoire permet autant un dialogue permanent avec la mémoire qu’un dépassement de celle-ci, une revivification perpétuelle d’un geste chorégraphique.
Précisons, au passage, à quel point la question de la mémoire, de la trace – mise au cœur de cette édition de Montpellier danse – travaille largement le champ chorégraphique. Plus que le théâtre ou les arts du cirque, la danse s’attache aux reprises et à la transmission d’un répertoire, qu’il s’agisse d’œuvres classiques, néo-classiques, ou, plus récemment, contemporaines. Un enjeu que le chorégraphe français Angelin Preljocaj n’a jamais éludé : lui qui a notamment été danseur chez Dominique Bagouet s’est très tôt soucié de préserver la trace de ses pièces, en continuant tant que faire se peut de les faire danser – ou en les faisant jouer par le Ballet Preljocaj Junior (troupe de jeunes danseurs-apprentis). Il a, également, revisité tout au long de sa carrière d’autres œuvres, notamment celles des Ballets russes.
Avec L’Annonciation créé en 1995, un duo de jeunes femmes interprètent l’annonce à Marie par l’archange Gabriel de l’avènement de son fils Jésus. Très peu abordé sur les scènes, mais constituant une source forte d’inspiration pour l’iconographie depuis des siècles, cet épisode biblique est ici donné avec la pleine conscience de sa récurrence dans la peinture. Les lumières dessinent l’espace, jouent avec les couleurs des costumes, tandis que la musique soutient autant qu’elle impulse les mouvements. En dépliant sa ligne chorégraphique faite de précision, clarté et rigueur, le duo nous transmet la trajectoire de Marie (de son hésitation jusqu’à son acceptation) en travaillant les références picturales et en déployant un jeu de séduction.
Créée en 1989, Noces est une pièce majeure dans l’histoire de la compagnie Preljocaj : ayant fait connaître la compagnie à l’international, elle figure aujourd’hui au répertoire de nombre d’équipes chorégraphiques. Se saisissant de la partition des Noces de Stravinsky (qui narrent un mariage dans la Russie paysanne) qui furent montées en 1923 à Paris par les Ballets russes, Preljocaj propose une pièce à l’intensité puissante. Démultipliant le mariage en cinq, donnant à voir la confrontation de cinq jeunes femmes avec autant de jeunes hommes fort virils, le chorégraphe souligne par ce geste l’omniprésence du patriarcat et des violences qui en découlent. Cette « tradition » du rapt de la mariée propre à de nombreuses cultures (balkanique ou arménienne, à titre d’exemple) n’est pas ici retranscrite comme une fatalité mais plutôt comme le signe d’une oppression systémique. Soutenus par une création lumières toute en nuances travaillant le clair-obscur, les interprètes portent avec une vivacité et une énergie aussi joyeuse que grave la chorégraphie. L’innocence sera au final perdue, le suicide semble l’issue inéluctable à la soumission et la domestication imposées, mais la danse jusqu’au bout porte une pulsion de vie tenace.
Avec Torpeur, Preljocaj réunit douze interprètes (six femmes et six hommes) pour une œuvre épurée et parfaitement tenue. Toutes et tous vêtus de vêtements travaillant les drapés et dont les couleurs balancent entre le blanc crème et le doré (comme les lumières), ces artistes aux physiques très harmonieux et homogènes déploient une danse bien réglée aux rythmes de musiques – signées 79D – allant de l’électro à la new wave. Entre solos, duos, et moments collectifs, Torpeur s’étire avec langueur, seule sa longue séquence finale dépassant la maîtrise de tous les artifices et gestes pour proposer une scène assez fascinante. Lors de celle-ci, les danseurs allongés dans une ronde réalisent de concert des mouvements hypnotiques à la berçante nonchalance.
Alors, quoi ? Qu’est-ce qui d’un travail à l’autre et au gré d’un parcours artistique demeure, s’affine, se raffine, ou, au contraire, disparaît, s’estompe ? Chez Angelin Preljocaj, il y a incontestablement une permanence dans le caractère de son écriture chorégraphique. Produisant des pièces belles au sens de maîtrisées, rigoureuses, harmonieuses par leur esthétique et les corps en présence ; précises, aussi, le chorégraphe a un style. Un goût pour la rigueur, une manière de balancer entre abstraction et figuration, ainsi qu’une façon de donner aux divers artifices scénique (costumes, musiques, lumières) une place essentielle. Pour autant, là où Noces est traversé d’une énergie vitale, là où L’Annonciation transmet l’érotisme contenu dans le dialogue entre l’archange et la femme, Torpeur demeure une pièce trop sage, empreinte d’une sécheresse émotionnelle et dénuée d’audaces formelles. Quoique léchée et impeccablement interprétée, cette création est verrouillée et la virtuosité physique n’empêche pas de s’interroger sur la perpétuelle uniformité des corps en scène. Difficile, alors, de ne pas relever que ce qui apparaît là est l’affirmation d’un classicisme flirtant avec l’académisme. Un travail à l’épure impeccable, mais où les sens comme les émotions sont verrouillés.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Ballet Preljocaj
Centre chorégraphique nationalAssistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
Assistante répétitrice : Cécile Médour Choréologue : Dany LévêqueAnnonciation
Chorégraphie et scénographie : Angelin Preljocaj
Avec 2 danseuses
Musique : Stéphane Roy (Crystal Music), Antonio Vivaldi (Magnificat)
Interprétation : Ensemble international de Lausanne / Orchestre de Chambre de Lausanne, dirigé par Michel Corboz
Costumes : Nathalie Sanson
Lumière : Jacques Chatelet
Production : Ballet PreljocajCréation en 1995 au TNDI – Châteauvallon
Torpeur (2023)
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Musique : 79D
Costumes : Elenora Peronetti
Lumières : Éric Soyer
Interprètes : Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat-Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua
Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
Répétitrice / Choréologue : Dany Lévêque
Coproduction Festival Montpellier danse 2023Noces
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Avec 10 danseurs
Musique : Igor Stravinsky, Noces
Interprétée par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabedian
Costumes : Caroline Anteski
Lumière : Jacques Chatelet
Coproduction : Maison des Arts de Créteil, TNDI Châteauvallon – Toulon, Alpha – FNAC, Arsenal – Metz, Centre National des Arts d’OttawaCommande 1989 Biennale nationale de danse du Val-de-Marne
Le Ballet Preljocaj est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC PACA, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Département des Bouches-du-Rhône, la Métropole Aix-Marseille Provence et la Ville d’Aix-en-Provence.
Il est soutenu par le Groupe Partouche – Casino Municipal d’Aix-Thermal et la Maison de Champagne Piper-Heidsieck.Annociation Durée 20 minutes
Torpeur Durée 30 min
Noces Durée 35 minutesMontpellier, Le Corum Opéra Berlioz
Dans le cadre du Festival Montpellier danse 2023
20 et 21 juin 2023 – PremièreAix-en-Provence, Pavillon Noir
Du 12 au 15 septembre 2023Rouen, Opéra de Rouen
Du 19 au 21 octobre 2023Quai 9, Lanester
03 novembre 2013Ollioules, Théâtre couvert, Châteauvallon – Scène Nationale
Du 07 au 10 novembre 2023Paris, Théâtre des Champs-Élysées
Du 01 au 03 décembre 2023La Coursive, La Rochelle
09 et 10 janvier 2024Mougins, Scène 55
22 et 23 mars 2024Draguignan, Théâtre de l’Esplanade
Festival de danse l’ImpruDanse#8
26 mars 2024Versailles, Opéra Royal du Château de Versailles
Du 28 mars au 05 avril 2024Thionville, Théâtre de Thionville
07 avril 2024Dieppe, DSN – Dieppe Scène Nationale
11 avril 2024Suresnes, Théâtre Jean Vilar
Du 26 au 27 avril 2024Nice, Théâtre National de Nice
Du 16 au 18 mai 2024Dijon, Opéra de Dijon
24 mai 2024
Bonjour dans le générique j’aimerais voir apparaitre le nom des danseurs ce qui me semble très important
Merci
Bonjour, nous sommes tout à fait d’accord avec vous, mais la compagnie ne les fait pas apparaitre dans son dossier. Comme dans chacun de nos génériques, tous les noms y figurent, quand on nous les transmet.