En utilisant L’Amour fou de Jacques Rivette pour s’approprier Andromaque de Racine, Matthieu Cruciani s’engage dans un ambitieux mélange des genres et des langages. Sans parvenir à en maîtriser les éléments.
Une troupe de théâtre qui répète Andromaque de Racine sous la direction d’un certain Sébastien Gracq (Jean-Pierre Kalfon), un réalisateur (André S. Labarthe) qui tente de réaliser un film sur les répétitions du spectacle, le metteur en scène et sa compagne (Bulle Ogier) qui se déchirent… Dans L’Amour fou (1968) comme dans tous les films de Jacques Rivette, les histoires se mêlent autant que le théâtre et le réel. Les improvisations nourrissent le scénario, étirant la durée du film jusqu’à 4h12 minutes, mais lui donnant aussi sa fausse fragilité si vivante et singulière. Laquelle fait hélas défaut à Andromaque (l’amour fou), où Matthieu Cruciani monte la pièce de Racine en y semant quelques dialogues et images inspirées du troisième long métrage de Jacques Rivette.
Prétendant entrer dans Andromaque grâce à L’Amour fou, le metteur en scène et cofondateur de la compagnie The Party met d’emblée son projet sous le signe de la confusion. La pièce de Racine n’est-elle pas en effet déjà présente dans le film de la Nouvelle Vague ? Serait-ce alors à une adaptation de celui-ci que se livre Matthieu Cruciani ? L’absence du terme dans la feuille de salle comme dans le dossier de presse n’est sans doute pas un hasard. Mais alors, de quel désir précis de métissage cet Andromaque (l’amour fou) est-il le résultat ? La représentation n’apporte pas de réponse claire à cette question. Si entre le film et le spectacle, on constate une inversion de l’équilibre entre partie racinienne et récit amoureux, on peine à en comprendre la raison.
Sur un plateau central au design moderne et minimaliste, d’où l’on aperçoit quelques morceaux de coulisses – l’un ressemble à une chambre, l’autre à une salle d’eau – la chaîne amoureuse d’Andromaque se déroule sans grand relief. Lamya Regragui a beau déployer un jeu élégant et contrasté dans le rôle de l’héroïne éponyme de Racine, et Philippe Smith porter avec conviction les tiraillements amoureux de Pyrrhus, cela ne suffit pas à pallier aux faiblesses ou à la platitude du reste de la distribution. Souvent accompagnées d’images filmées en direct par Arnaud Bichon et projetées sur un écran installé au-dessus de la scène, les scènes tirées de Jacques Rivette offrent des parenthèses qui divertissent sans offrir d’éclairage vraiment neuf sur la tragédie classique.
On ne peut s’empêcher de penser au couple si particulier formé par Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon dans L’Amour fou. Filmés avec une précision d’anthropologue, leurs disputes et leurs jeux tantôt tendres tantôt cruels se mêlaient de manière assez étroite à l’intrigue racinienne pour susciter une réflexion sur les frontières entre vie et représentation. Et entre passé et présent. Chez Matthieu Cruciani, la banalité du couple central incarné par Philippe Smith et Émilie Capliez – qui est aussi Hermione – et la rareté de ses apparitions semble porter la pièce du côté d’une critique de l’individualisme. Sans approfondir cette piste. Réduites à portion congrue, les scènes de vie de la troupe qui faisaient la dimension politique du film manquent aussi à ce spectacle qui ne transmet ni la folie de Racine ni la démesure de Rivette.
Anaïs Heluin – wwww.sceneweb.fr
Andromaque (un amour fou)
De Jean Racine
Mise en scène de Matthieu Cruciani
AVEC
Émilie Capliez,
Arnaud Bichon,
Lamya Regragui,
Philippe Smith,
Jean-Baptiste Verquin,
Mattéo Zimmermann,
Christel Zubillaga
COLLABORATION ARTISTIQUE
Tunde Deak
SON
Clément Vercelletto
VIDÉO
Stéphan Castang
SCÉNOGRAPHIE ET LUMIÈRE
Nicolas Marie
COSTUMES
Fred Cambier
RÉGIE SON ET VIDÉO
Arnaud Olivier
RÉGIE PLATEAU ET RÉGIE GÉNÉRALE
Philippe Lambert
RÉGIE LUMIERES
Victor Mandin
Production : The Party
Coproduction : La Comédie de Saint-Étienne – CDN, Département de la Loire / Estival de la Bâtie
Avec le soutien : du Département de la Loire, de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, de la Ville de Saint-Étienne, de la SPEDIDAM et La Scène nationale de Chambéry
DURÉE
2h10Espace Malraux, Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie
du 29 novembre au 1er décembre 2017La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national
du 12 au 15 décembre 2017Les Scènes du Jura, Scène nationale
du 18 au 19 décembre 2017Le Préau, Centre dramatique régional de Basse-Normandie – Vire
18 janvier 2018Centre culturel le Rive Gauche – Ville de Saint-Etienne-du-Rouvray
23 janvier 2018Théâtre Dijon-Bourgogne – Centre dramatique national
du 30 janvier au 3 février 2018
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