Signée Rébecca Déraspe et Annick Lefebvre et mise en scène par Alexia Bürger, cette longue pièce chorale raconte l’histoire de neuf personnages confrontés à la mort. Joliment chorégraphiée et animée par d’excellents comédiens, le spectacle souffre d’un texte monocorde et décousu qui peine à porter son sujet : les affres de la maternité.
Au départ, le spectacle a des allures de série policière en vogue sur Netflix. L’action se déroule au Québec, aux abords du Saint-Laurent, l’impétueux fleuve qui serpente des grands lacs américains à l’océan Atlantique sur l’immensité canadienne. Un jour, sept cadavres sont rejetés par les eaux, près de la municipalité de Blanc-Sablon. C’est alors, au hasard d’une funeste promenade, que huit femmes et un homme entrent en contact avec ces dépouilles non identifiées et non réclamées, rongées par les poissons et les crevettes. Et c’est à ce moment que la comparaison sérielle s’arrête ; dans cette pièce il ne sera ni question d’enquête policière, encore moins de tueur en série et de course poursuite. Mais plutôt de l’onde de choc provoquée par cette terrible découverte sur ces neuf individus cabossés et d’un étrange récit choral signé Rébecca Déraspe et Annick Lefebvre, qui, las, nous ont laissés de marbre durant ces deux – longues – heures de théâtre.
Le parti pris scénique est intéressant, pourtant. Les planches sont quasiment nues, hormis quelques pieds de micros. Dix comédiens (l’une des actrices, Elkahna Talbi, incarne le fleuve, en plus des neuf personnages) vêtus de costumes clairs et légers prennent la parole, l’un après les autres, les uns avec les autres, pour raconter leur histoire, s’assemblant et se réassemblant, au fil d’une chorégraphie chiadée, et plutôt élégante. L’ensemble donne l’impression d’un organisme vivant, évoluant au gré du grand cours d’eau nord-américain, provoquant, il faut le reconnaître, de belles images de théâtre. C’est, par exemple, l’un des gestes ou l’un des mots d’une comédienne, qui sera prolongé ou répété par le reste de la troupe. Ces mouvements, quasi-cosmiques, signés par la metteure en scène Alexia Bürger, évoquent aussi bien le ressac et le sac du fleuve qu’une communauté de destins. Il faut également reconnaître la présence magnétique de ces dix comédiens, discerner la précision de leur jeu, percevoir leur grande complémentarité ; si le reste de la scène québécoise est à la hauteur du talent découvert sur la petite salle de La Colline, il est tentant de partir s’installer au pays des Acadiens.
Comment expliquer l’ennui éprouvé alors ? Le texte, sans l’ombre d’un doute. Commandée par le directeur de La Colline, Wajdi Mouawad, la partition des autrices est à la fois monotone et décousue. L’intention est assez claire ; confrontés à la mort, ces neuf personnages retrouvent, au fil d’un intense tourment psychique, la pulsion de vie qui leur permettra de se remettre en selle, autrement. Mais les récits s’enchevêtrent mollement, avec peu de tension dramatique, et restent traversés par un mystère artificiel, comme trop entretenu. Il est beaucoup question de condition féminine, de maternité contrariée ou de sexualité insatisfaite, mais l’ensemble, déclamé de façon fantomatique, n’émeut jamais, mais frappe plutôt par son mauvais lyrisme et sa prétention. On se raccroche alors à la présence et aux mouvements de comédiens qui sauvent ces Filles du Saint-Laurent du naufrage.
Igor Hansen-Love – sceneweb.fr
Les filles du Saint-Laurent
texte Rébecca Déraspe
en collaboration avec Annick Lefebvre
mise en scène Alexia Bürgeravec Annie Darisse, Marie-Thérèse Fortin, Ariel Ifergan, Louise Laprade, Gabrielle Lessard, Marie-Ève Milot, Émilie Monnet, Elkahna Talbi, Catherine Trudeau, Tatiana Zinga-Botao
assistanat à la mise en scène Stéphanie Capristran-Lalonde
scénographie Simon Guilbault
costumes Julie Charland
lumières Marc Parent
musique Philippe Brault
accessoires Julie Measroch
maquillage et coiffures Angelo BarsettiDurée : 2h10
Théâtre National de la Colline
du 4 au 21 novembre 2021
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
Petit Théâtre
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