Le metteur en scène s’empare de La Seconde Surprise de l’amour. Entouré par une belle bande de comédiens, Georgia Scalliet en tête, il lui confère une limpidité étincelante.
Il est particulièrement étonnant que la dernière rencontre entre Alain Françon et Marivaux remonte à près de… quarante ans. Du célèbre dramaturge, le metteur en scène n’avait, jusqu’alors, monté qu’une seule et unique pièce, La Double Inconstance, en 1981. Parti s’acoquiner avec d’autres auteurs, de Vinaver à Tchekhov, de Bond à Ibsen, pour ne citer qu’eux, il avait, depuis, laissé le roi du marivaudage de côté. Une promesse qu’il s’était faite à lui-même après leur premier pas de deux car il était, affirme-t-il, « à peu près sûr de n’avoir rien compris à son écriture ». Pourtant, les deux artistes semblent, peut-être encore davantage que d’autres, faits l’un pour l’autre, mus, à la fois, par un perfectionnisme de la tirade et par un même amour, une même obsession, une même foi en la langue, capable, sous leur houlette, d’ouvrir tous les possibles, de déplacer des montagnes intérieures et d’engendrer toutes les beautés.
Car il s’agit de cela, et bien de cela, dans La Seconde Surprise de l’amour, dont Alain Françon s’empare au Théâtre du Nord. Entre La Marquise et Le Chevalier, comme entre leurs domestiques respectifs, Lisette et Lubin, les mots ont supplanté les gestes et les paroles les actes. Depuis la mort du mari de la première et l’entrée au couvent de la femme du second, l’un et l’autre sont plongés dans une profonde affliction qui a transformé la tristesse en modus vivendi. Ne leur reste plus, alors, que le langage, dont il découvre le pouvoir salvateur, la faculté à soulager la peine grâce au partage qu’il entraîne. Autour d’eux, les autres protagonistes s’en servent, a contrario, comme d’une arme pour ourdir des complots en faveur ou aux dépens de La Marquise et du Chevalier qui, parce qu’ils n’osent pas exprimer clairement leurs sentiments, par crainte de perdre la face aux yeux de l’autre et du monde, prennent le risque, avant même qu’il n’advienne, de mettre en péril leur amour embryonnaire. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, chez Marivaux, tout n’est affaire que de finesse et de précision, et le poids des mots n’a sans doute jamais paru aussi lourd, tant il tient les personnages, constamment, dans une situation d’équilibre précaire, qui peut, d’un moment à l’autre, asseoir ou détruire les sentiments naissants.
Avec cette pièce qui joue des quiproquos, du faux et de l’usage de faux et du glissement sémantique, Alain Françon, en amoureux et en perfectionniste de la langue, se place sur son terrain de jeu favori. A entendre sa belle troupe de comédiens dire le texte avec une infinie justesse, on sent le travail d’orfèvrerie, le soucis du détail, jusque dans les micro-respirations à l’intérieur d’une réplique pour souligner que les mots à venir sont emplis d’un sens capital. A l’oreille, l’ensemble parvient avec une fluidité et une limpidité remarquables, et une facilité qui n’est que d’apparence. Surtout, dans sa direction d’acteurs, le metteur en scène manie parfaitement cette façon qu’a Marivaux d’irriguer à nouveau ces personnages, de faire monter la sève en eux. Partis dévitalisés, affligés, absents à eux-mêmes, ils reprennent progressivement corps grâce à la puissance de la langue ; ce que le travail chorégraphique de Caroline Marcadé traduit subtilement en dotant les pantins des débuts de mouvements de plus en plus humains.
A l’avenant, la composition scénique, conçue par l’équipe de fidèles d’Alain Françon, offre un cocon idéal à ce substrat cousu main, à mi-chemin entre l’humour et la mélancolie. Dans cette esthétique néo-classique qu’affectionne le metteur en scène, tout se passe comme si la froideur initiale se teintait progressivement de chaleur, comme si le décor devenait, lui-même, organique, et était capable, à l’image de la superbe fresque de Jacques Gabel qui paraît se transformer sous l’effet des lumières de Joël Hourbeigt, de prendre, lui aussi, vie. Ainsi portés, les six comédiens présents au plateau se révèlent étincelants. Chacun profite de l’écrin conçu par le dramaturge pour donner à son personnage un relief, une épaisseur, une couleur toute particulière ; de Georgia Scalliet, impeccable cheffe de file, à Pierre-François Garel, Chevalier charmeur qui s’ignore, sans oublier les deux truculents valets, Suzanne de Baecque et Thomas Blanchard, qui, comme souvent chez Marivaux, manipulent leurs maîtres, leur tiennent la dragée haute, et s’imposent, finalement, comme ceux qui détiennent les clefs de la destinée de tous.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Seconde Surprise de l’amour
de Marivaux
Mise en scène Alain Françon
Avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet
Assistant à la mise en scène David Tuaillon
Décor Jacques Gabel
Lumières Joël Hourbeigt
Costumes Marie La Rocca
Création musique Marie-Jeanne Séréro
Chorégraphie Caroline Marcadé
Coiffures maquillages Judith Scotto
Création son Léonard Françon et Pierre Bodeux
Régie générale Joseph Rolandez
Habillage, suivi coiffure Charlotte Le Gal et Noémie ReymondProduction Théâtre des nuages de neige
Co-production Théâtre du Nord – Centre Dramatique National Lille Tourcoing Hauts-de-France, Théâtre Montansier – VersaillesLe Théâtre des nuages de neige est soutenu par la Direction Générale de la Création Artistique du Ministère de la Culture.
Durée : 1h50
Théâtre du Nord, Lille
du 22 septembre au 3 octobre 2021Théâtre de l’Union – CDN du Limousin, Limoges
du 6 au 8 octobreLa Comédie de Clermont-Ferrand
du 12 au 15 octobreOdéon-Théâtre de l’Europe, Paris
du 5 novembre au 4 décembreTNP Villeurbanne
du 9 au 19 décembreChâteauvallon-Liberté – Scène nationale, Toulon
les 20 et 21 janvier 2022Théâtre de Caen
du 1er au 5 févrierThéâtre Montansier, Versailles
du 10 au 19 févrierThéâtre Dijon-Bourgogne
du 8 au 12 marsComédie de Colmar
du 16 au 18 marsThéâtre national de Strasbourg
du 24 mars au 1er avrilThéâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
du 6 au 9 avrilLa Comédie de Saint-Etienne
du 13 au 16 avrilThéâtre du Beauvaisis
les 26 et 27 avril
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