Agnès Bourgeois s’empare de la pièce de Molière avec une distribution exclusivement féminine et lui greffe une pléiade d’emprunts littéraires qui peine à faire sens. Joué à la table, Ma Misanthrope ne parvient pas à donner corps à la parole qui circule et s’enferme dans un formalisme sans saveur.
Mais où diable veut-elle en venir ? On n’en saura pas plus après la représentation malheureusement, on ne comprendra pas l’enjeu ni la nécessité de ce spectacle trop formel pour passer le cap de la scène. Agnès Bourgeois fait du Misanthrope le matériau de départ d’une pièce qui va piocher sa substance, outre chez Molière, mais également dans le grand bain de la littérature, comme le dossier de presse l’indique car on serait bien embêté d’en détecter à l’oreille les références.
En effet, cette adaptation conceptuelle invite apparemment dans sa matrice des écritures aussi hétéroclites que Dostoïevski, Homère, Elfriede Jelinek, Deleuze, Valérie Solanas, Christophe Tarkos, Marina Tsvetaieva, Laurent Mauvigner, Céline ou Rutebeuf, un panier garni de haute volée certes mais dont on ne parvient pas à reconnaître une plume tant les extraits sont déracinés de leur contexte littéraire. Quant à la cohérence de ce réseau de citations et d’emprunts, elle nous a échappé.
Les six comédiennes en présence ne quitteront jamais la table derrière laquelle elles s’expriment, chacune figée à sa place dans une configuration gestuelle qui d’emblée évoque une célèbre fresque de Léonard de Vinci, La Cène, scène biblique représentant le dernier repas du Christ en compagnie de ses douze apôtres. Encore une référence, certes très belle, d’autant plus que les pieds nus des comédiennes, l’harmonie colorée des costumes et la matière soyeuse des tissus composent une image picturale agréable au regard, mais que l’on ne comprend pas.
Au centre, Alceste, incarné par Valérie Blanchon, impériale mais sans grande nuance, aurait-il quelque chose à voir avec Jésus sur le point d’être trahi par Judas ? Mystère. Très tenue, précise et chorégraphiée, la partition visuelle semble agir les interprètes selon des règles strictes, un rituel codifié de postures qui agence les corps entre eux. Dans ce cadre très contraint, la parole interagit elle aussi, elle met en place un système de dénonciations et médisances issu de la pièce de Molière, une opposition radicale entre la franchise et l’hypocrisie, une langue qui porte sa vérité, les autres qui la masquent. Alceste est seul contre tous, cerné mais il ne semble préoccupé que par le fait de renvoyer la balle aux flatteurs de toutes espèces.
Si dans ce spectacle la parole est reine, elle manque cruellement de corps et de chaleur. Dépouillée de toute psychologie, décontextualisée, elle perd son âme. Sur la table, les téléphones portables des comédiennes se manifestent à tour de rôle par des signaux que l’on ne connaît que trop bien, ils sont les messagers des lettres interceptées, des échanges secrets révélés, présence contemporaine bien anecdotique qui ne fait qu’ajouter à l’agacement général. Quant au choix d’une distribution exclusivement féminine, pourquoi pas mais pourquoi ? Soupir…
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Ma Misanthrope
Cie Terrain de Jeu
Mise en scène Agnès Bourgeois
Composition collective d’après Molière et des auteur·rices contemporain·esValérie Blanchon, Agnès Bourgeois, Sylvie Debrun, Corinne Fischer, Muranyi Kovacs, Jeanne Peylet-Frisch interprétation
Didier Payen scénographie
Alain Sionneau construction
Fred Costa création musicale
Boualeme Bengueddach création lumières et régie générale
Vladimir Kudryavtsev régie son
Tiphaine Karsenti collaboration dramaturgique
Louise de Bastier de Villars stagiaire mise en scène et scénographieA partir de 15 ans
Durée : 1h15
Au Théâtre Dunois du 8 au 16 avril 2022
Mardi 19 avril à 19h
Mercredi 20 avril à 14h30 et 19h
Anis Gras – le lieu de l’autre à Arcueil
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